LE SANG DE SIGMAR
2523 CI
Merci à Rincevent
Le Sang de Sigmar est un prélude à la campagne "la Fin des Temps".

Le vampire Mannfred von Carstein déclare l'autonomie de la Sylvanie avec fracas. Le Grand Théogoniste Volkmar lance une croisade dans ces terres maudites pour en chasser les vampires.

Le pdf complet, c'est par ici.

Notons que cet ouvrage fait une petite allusion à la Tempête du Chaos (l'incursion avortée d'Archaon jusqu'à Middenheim en 2521-2522) dans la description du chef des Flagellants "Les âmes en lambeaux". "Gerhardt le Ver de Terre était à l’origine un des acolytes de Volkmar lors de la guerre contre Archaon dans le grand nord." (p.18 du pdf ci-dessus ou p. 22 de l'ouvrage original). Volkmar est en effet particulièrement "actif" dans cette guerre : il meurt (!) en luttant contre Archaon dans le Nord avant d'être ressuscité par le prince-démon Be’lakor. Il est libéré après la bataille de Middenheim et reprend sa place de Grand Théogoniste occupée pendant son absence par Johann Esmer.
On peut penser que cette expérience l'a sensiblement traumatisé et que l'Empereur n'est pas mécontent de voir son Grand Théogoniste s'en aller chasser le vampire en Sylvanie. Cela expliquerait aussi la modestie numérique de sa croisade (alors que tout l'Empire est sur le pied de guerre). Comment Karl Franz aurait-il pu imaginer l'ampleur véritable du projet de Mannfred von Carstein et ses conséquences à court terme (ressusciter Nagash) ?

LUMIÈRE MOURANTE


Vers la fin de l’année 2522, des rumeurs troublantes se propageaient en Sylvanie. Même les hameaux les plus reculés avaient leurs propres histoires : on avait trouvé du bétail mutilé, des bébés avaient disparu de leurs petits lits et des meutes d’hommes morts erraient sur la lande. Les symboles sacrés ornant les temples avaient été arrachés et les seules traces laissées par les voleurs étaient quelques empreintes de souille sur les dalles. Les paysans du cru accrochaient des talismans sur leur porte et priaient Sigmar et Morr, craignant que le pire reste à venir. Mais même le plus ardent des prédicateurs ne pouvait soupçonner les ténèbres qui guettaient la Sylvanie.

L’ombre de la non-vie
Les hommes et les femmes du Stirland sont très superstitieux, et à raison, car leur terre est vraiment maudite. Bien que les Guerres Vampiriques soient un lointain souvenir, la perversité des anciens maîtres de la province, les von Carstein, persiste.
Les habitants des provinces orientales de l’Empire savent reconnaître les signes du mal. Du cœur du Stirland au pied des montagnes du Bord du Monde, la magie noire s’infiltre dans les sols et forme des mares invisibles. À moins d’invoquer Morr, le dieu de la mort, et d’observer les bons rituels, ces énergies maléfiques réveilleront les morts où qu’ils soient enterrés.

Les légions du dessous
Les gens du Stirland ont pour coutume d’inhumer leurs proches après leur avoir fourré le gosier d’ail, de pattes de corbeau et de brins d’aubépine et de verveine. On coince des pièces de cuivre dans leurs orbites en offrande à Mòrr et on les enterre sur le ventre dans des tombes très profondes. En protégeant les morts de la sorte, on empêche les nécromants qui infestent le Vieux Monde de récolter leur sinistre moisson.
Malgré ces précautions, on croise plus souvent des morts qui marchent que des patrouilleurs ou des agents d’Altdorf au cœur de la Sylvanie. Les seigneurs vampiriques qui rôdent dans les châteaux en ruines ont eu des millénaires pour parfaire leur art et l’éternité enseigne la patience par-dessus tout.
À dire vrai, en Sylvanie, relever les morts est une affaire assez simple. Le sous-sol lui-même est saturé de magie noire, et pour chaque dépouille correctement sanctifiée, dix se mettent à tressaillir dans des tombes anonymes. Un simple couplet peut faire remuer et gémir la terre. Lorsque la lune Morrslieb est basse, des armées de cadavres défraîchis se fraient spontanément un chemin jusqu’à la surface et s’extirpent du sol. Leurs maîtres – les rejetons sanguinaires des premiers vampires- les regroupent en ramassis compacts de viande morte, puis leur commandent de s’en prendre aux vivants.

Les ténèbres insondables
L’an 2522 touchait à sa fin, lorsqu’un épais manteau d’ombre tomba sur la Sylvanie, à tel point que même le soleil de midi était à peine perceptible dans l’obscurité ambiante. Chose encore plus étrange, cette manifestation de noirceur semblait s’arrêter aux frontières de la Sylvanie : il suffisait d’un pas pour faire passer le voyageur du soleil resplendissant aux ténèbres oppressantes. En Sylvanie même, les rayons de l’astre solaire ne perçaient plus. Le jour ne se démarquait plus de la nuit que par une faible luminescence laiteuse. Le phénomène était d’origine magique, cela ne faisait aucun doute. Les habitants de la province soupçonnaient, avec la certitude de l’expérience, que les seigneurs de la non-vie en étaient les responsables. Les comtes vampires sont des êtres mythiques et la légende veut que les ténèbres les suivent où qu’ils aillent. Néanmoins, voler la lumière du soleil à toute une province et la condamner à une mort lente, par l’inanition et la maladie, était une prouesse inouïe. La luminosité diminuait avec chaque jour qui passait et avec elle les espoirs de la Sylvanie.
Des citoyens superstitieux de l’Empire murmuraient que la puissance qui générait ces ténèbres n’était nulle autre que Mannfred von Carstein, le plus retors et le plus versé dans la magie de tous les vampires. Nombre de ceux qui avançaient cette idée se faisaient traiter d’oiseaux de mauvais augure. Le folklore enseignait que Mannfred avait péri des siècles auparavant à Hel Fenn, de la main du comte électeur du Stirland, et que la dynastie von Carstein s’était éteinte avec lui. Mais le spectre des comtes vampires avait continué de planer et tous ceux qui évoquaient le retour de Mannfred n’étaient pas impartiaux.

Serments et défi
Deux ans plus tôt, le grand théogoniste Volkmar avait missionné l’un de ses meilleurs hommes, l’ingénieux répurgateur Gunther Stahlberg, pour éclaircir les rumeurs de réapparition de Mannfred von Carstein à Château Drakenhof. L’agent de Volkmar s’était rendu en Sylvanie en toute hâte. Et on n’avait plus entendu parler de lui. Volkmar aurait souhaité enquêter sur cette disparition en déployant les grands moyens, mais la guerre au nord faisait rage et Karl Franz craignait de diviser ses forces sur la base des ouï-dire.
La réserve de l’empereur fut brusquement dissipée lors du Conclave Étatique – la réunion annuelle des plus fins esprits politiques de l’Empire. Les comtes électeurs rassemblés au palais Impérial avaient débattu de leurs petites querelles frontalières jusque tard dans la nuit, en annotant une vaste carte de la nation étendue devant eux. Le vélin était couvert de l’encre rouge des amendements suggérés. Volkmar était sur le point de perdre patience lorsque la lumière de la lune fut occultée par une ombre irrégulière voletant au-dessus de la carte.
Soudain, le toit de verre teinté du Grand Atrium se brisa et des éclats acérés s’abîmèrent en empalant des servants et en manquant de décapiter plusieurs électeurs. Un cadavre exsangue vint s’écraser sur la zone de la carte qui représentait la Sylvanie. Volkmar recula en reconnaissant le corps. C’était celui de Stahlberg. Dans la bouche du répurgateur était enfoncé un parchemin portant le sceau en forme d’aile de chauve-souris des von Carstein. Tandis que les comtes électeurs cherchaient leurs armes à tâtons, Volkmar s’en saisit et brisa le sceau. Cette déclaration, écrite dans un style calligraphique élégant mais suranné, était la proclamation de sécession de la Sylvanie, signée de Mannfred von Carstein. Alors que Karl Franz calmait les esprits, Volkmar lisait la lettre à voix haute. Elle détaillait la prise de la province par le comte, qui invoquait l’héritage de Vlad von Carstein, et soulignait sa légitime revendication du trône impérial. Sous le vernis du protocole, le mépris transpirait de chaque phrase ; et la missive se terminait ainsi : « Comment les dirigeants de l’Empire pourraient-ils protéger ses frontières alors qu’ils ne voient pas ce qui se passe sous leur nez ? »
Un terrible pressentiment s’empara de Volkmar. Il ordonna à ses archidiacres de prendre la tête d’un détachement de la Reiksguard pour fouiller les cryptes du Temple. Ils trouvèrent des salles saccagées et des vétérans de la garde mis en pièces par des assaillants d’une force incroyable. De puissants artefacts étaient éparpillés sur le sol comme de vulgaires débris. Le seul objet qui manquait à l’appel était la légendaire Couronne de Sorcellerie, qui ornait autrefois le front du Grand Nécromancien, Nagash. Non seulement Mannfred avait maudit la Sylvanie, mais en plus ses agents avaient volé l’un des plus précieux objets conservés dans les cryptes du Temple, alors même que les électeurs déblatéraient dans les étages supérieurs. Volkmar était fou de rage. Avec une voix qu’on aurait pu prêter à Sigmar lui-même, il jura de tuer Mannfred von Carstein et de récupérer la Couronne.
Il restait au moins un agent actif en Sylvanie, le dénommé Alberich von Korden. Celui-ci soutenait depuis longtemps que Mannfred constituait toujours une menace. On le rappela sur-le-champ à Altdorf. La chasse était ouverte.

LES CHASSEURS CHASSÉS

Alors que les Ténèbres Insondables mettaient la province à genoux, les chasseurs de sorcières de Sylvanie étaient traqués à leur tour. Des meutes de bêtes voraces pourchassaient les répurgateurs de jour comme de nuit, châtiant la moindre erreur d’inattention. Des troglodytes pâles rôdaient à la périphérie de la vision de leur gibier et emplissaient la nuit de leurs paroles ineptes en attendant qu’il baisse sa garde.
Les répurgateurs étaient des hommes forts, mais des hommes seulement. L’épuisement eut raison de leur cran, l’un après l’autre. Même en changeant régulièrement d’auberge, les tenanciers finissaient toujours par retrouver leurs restes à moitié dévorés au petit matin. Le dernier survivant de leur confrérie était le vigilant von Korden, un homme dont l’impitoyable conviction avait envoyé criminels et innocents au bûcher. Von Kordden était persuadé que Mannfred agissait en secret depuis le cœur du vallon Ténébreux et avait soigneusement identifié les agents du vampire tandis qu’ils vaquaient à leurs manigances. Lorsque les attaques des morts-vivants se multiplièrent, von Korden arrêta ses recherches et se prépara à la guerre ouverte.
Dès que la convocation de Volkmar atteignit von Korden à Konigstein, le répurgateur laissa ses hommes à leur surveillance et partit au nord, en direction du fleuve Stir. Là, il rassembla ses derniers pfennigs pour payer le passage à bord d’une barge de commerce en partance pour Altdorf. Il entendait faire son rapport directement au grand théogoniste, pour l’entretenir des divers périls qui menaçaient l’est de l’Empire et solliciter le rôle de guide de l’expédition qui ne manquerait pas d’être organisée. Von Korden consacra le reste du voyage à noter tout ce qu’il savait à propos de la Sylvanie. Avec l’aide de von Korden la croisade de Volkmar pourrait progresser rapidement en Sylvanie et pourfendre directement son cœur noir.
ÉTUDE DU VALLON TÉNÉBREUX
Par Alberich von Korden. Destinée à son éminence le grand théogoniste Volkmar et à lui seul.

L’Échine Brisée : Les pics de l’Échine Brisée ne sont que des collines comparés aux montagnes du Bord du Monde, mais ils n’en forment pas moins une barrière contre le mal. Sans eux, les vents éthériques qui soufflent en Sylvanie pousseraient les armées des morts plus loin au Stirland, dans le Moot, voire au-delà du Bief de l’Aver. En l’occurrence, les vents venimeux sont contenus dans l’arrière pays, et maints puissants morts-vivants avec eux.

Le Bois de la Famine [connu pour la bataille de Hel Fen]: Le bois de la Famine est le plus honni de toutes les forêts de Sylvanie. Même mes hommes les plus endurcis refusent d’y entrer. Des chasseurs de prime téméraires et des mercenaires ignares s’y rendent chaque année pour fouiller les ruines en quête de malepierre et d’autres trésors. Jusqu’ici, un seul d’entre eux en est revenu. Sa compagnie se perdit dans les bois et les soudards durent manger la chair de leurs compères pour subsister. Les rescapés succombèrent à l’appel des goules qui hantent la forêt. J’éprouve un dégoût particulier pour le cannibalisme et ne suis pas pressé de devenir ce que je chasse, ni de voir quiconque s’infliger un tel destin. Je recommande donc d’éviter le bois de la Famine à tout prix.

Hellsein: Froides et graisseuses, les eaux du lac Hellsein sont aussi noires que le cœur d’un gibier de potence. La fourche formée par le fleuve Stir offre une voie directe vers la berge nord du lac Hellsein, et donc vers l’entrée du vallon Ténébreux lui-même, sans avoir à risquer une bataille ouverte avec les morts-vivants. En outre, le fleuve est sans conteste la route la plus rapide pour rallier Altdorf au vallon. Les eaux du lac sont empoisonnées, mieux vaut donc éviter tout contact avec elles. Parmi les ossements disséminés sur ses rives, on peut voir les restes de terreurs tentaculaires et les carcasses de cétacés à bec que je ne saurais décrire précisément.

La Lande Lugubre : C’est dans les marécages puants de la Lande Lugubre que Konrad la Sanguinaire livra son dernier combat et trouva la mort véritable. Il affronta les armées des hommes et des nains à la tête de vastes légions de squelettes prélevés dans les anciens tertres et cairns qui encombraient le marais. La justice l’emporta : la bête fut abattue et mise au bûcher. Aujourd’hui encore, la tourbe de ce domaine est toujours truffée d’os. L’homme avisé fait un détour par l’ouest, par Ulfheim.

Les Chutes du Désespoir : Si vous remontez les cours d’eau qui alimentent le lac Hellsein jusqu’à leur source, vous trouverez les chutes du Désespoir. En ce lieu, c’est comme si la terre elle-même était meurtrie car ce n’est pas de l’eau qui tombe en cascades, mais du sang souillé. Il y a quelques semaines, la brume qui monte du bas des chutes infecta l’esprit de Jensen, mon porte-bannière. Il sombra dans une rage meurtrière avant de retrouver ses esprits pour constater le carnage qu’il avait causé. J’ai dû l’exécuter sur-le-champ.

Ulfheim : Bien que ses habitants soient des païens verruqueux et ses aubergistes de fieffés imbéciles, Ulfheim est un îlot de sécurité dans une mer de danger. Sa palissade fut érigée pour repousser les tribus bestiales de la Grande forêt, mais elle fonctionne aussi bien contre les morts-vivants. Une poignée de pfennigs et un discours bien senti vous ouvriront bien des portes.

Fort Oberstyre: Les voyageurs empruntant la route de l’ouest devraient connaître l’histoire du fort Oberstyre. Mis à sac par Konrad et ses chevaliers vampires, le fort fut rebâti et occupé par celui qui avait triomphé de la bête, le comte Helmar du Stirland. Cette garnison périt à son tour par la magie de Mannfred. Par pure cruauté, von Carstein invoqua les esprits des victimes de Konrad pour les envoyer contre leurs remplaçants.

La Tour Konigstein: Baptisée en l’honneur d’un roi des temps anciens, la tour Konigstein s’est effondrée sous le poids des ans et il n’en reste plus que quelques ruines. Je suis convaincu que c’est là que s’est établi Ghorst le nécromancien, fantoche de Mannfred. Prêtez-moi un canon pour aller frapper à sa porte et j’en apporterai la preuve incontestable.

Les châteaux Sternieste et Drakenhof: Votre éminence aura noté que j’attire davantage son attention vers Château Sternieste que vers Drakenhof. Je crois non seulement que von Carstein est toujours actif en Sylvanie, mais aussi qu’il est l’instigateur de cette malédiction. Le simple fait que des agents encapuchonnés et des carrosses ornementés convergent vers Sternieste devrait suffire à éveiller les soupçons, mais j’ai moi-même aperçu un seigneur très pâle sur ses remparts. Avec votre appui, messire, le vampire brûlera avant la fin de l’année.


SOMBRES PRÉMICES

Ayant reçu la bénédiction de l’empereur, Volkmar ne perdit pas de temps pour rassembler une escorte de guerriers à la volonté de fer. Seuls les plus fervents avaient suffisamment de tripes pour faire face aux horreurs de Sylvanie et leur survivre. [...] En effet, si l’empereur lui-même se rendait en Sylvanie à la tête d’une grande armée, les maîtres putatifs de la province y verraient un signal trop évident, qui inciterait certainement Mannfred von Carstein à se cacher davantage au lieu de l’attirer à découvert, car le scélérat était aussi réputé pour sa ruse que pour sa malveillance. Par ailleurs, et même si la caste des officiers impériaux ne l’admettrait jamais, seule une petite force pouvait être détachée des casernes d’Altdorf.

L’Empire était assailli de toutes parts, et la guerre contre les adorateurs du Chaos du nord prélevait un tribut de plus en plus lourd, sans monter le moindre signe de résolution. L’empereur demanda donc au kriegmarshal du Talabecland, une puissante province frontalière du Stirland, d’envoyer secrètement un détachement à la rencontre de la croisade de Volkmar sur le Reik. Le kriegmarshal du Talabecland ne se souvenait que trop bien des évènements du Conclave Étatique. Il accéda de son mieux à la requête de Karl Franz, en dépêchant auprès de Volkmar des guerriers réputés pour leur force d’âme. La compagnie qu’il sélectionna était restreinte mais puissante, avec, entre autres, des troupes régulières, des artilleurs et des chevaliers. Elle comptait des adeptes de Myrmidia et de Sigmar, tous sûrs de leur foi. Bien que cette armée semblât disparate, ses soldats étaient unis par le désir ardent d’abattre les laquais des ténèbres.

Au cœur des ténèbres
A Altdorf, Volkmar se rendit sur les quais donnant sur le fleuve Reik. Là, les guerriers embarquèrent à bord de la grande barge cuirassée Luitpold III [allusion à L'Empereur Luitpold ?], un léviathan à vapeur bardé de canons, assez gros pour accueillir dans ses vastes cales non seulement l’Autel de Guerre de Volkmar, mais aussi une armée entière. Cette nuit-là, les soldats du grand théogonistes descendirent le Stir en priant dans le silence. La lune éclairait une silhouette se tenant à la proue de la barge : von Korden le répurgateur, un sourire naissant aux lèvres.
La croisade continuait sa course sur le Stir et traversa la Drakwald. La masse de la barge cuirassée dissuada les tribus bestiales qui hantaient ces bois de passer à l’attaque. Chaque jour, von Korden ordonnait à l’équipage du Luitpold de pelleter encore plus de charbon dans les chaudières du navire, au point d’asphyxier le fleuve avec la fumée. La barde progressait vite, faisant halte seulement à Kemperbad pour charger du combustible avant d’atteindre la frontière du Talabecland.
Lorsque le convoi arriva à Leitzigerford, Volkmar dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas laisser paraître sa colère et sa déception. La force envoyée au point de rendez-vous par le kriegmarshal du Talabecland comptait moins de cinquante hommes. Certes, les temps étaient durs, et les hommes-bêtes étaient une menace, mais le fait que Talabheim accorde une aide si minime n’augurait rien de bon pour la suite de la croisade. Néanmoins, à la vue de ses vieux camarades des Fils de Sigmar, l’humeur de Volkmar s’adoucit un peu. Le Luitpold repartit.
Comme les marches de Sylvanie se dessinaient à l’horizon, von Korden se rendit une nouvelle fois à la proue. A l’évidence, la malédiction qui frappait la province avait gagné en force. C’était comme si un rideau de nuit avait été tiré devant le ciel. Volkmar rejoignait le répurgateur en secouant la tête de consternation. L’équipage chuchotait et s’agitait dans leur dos. Le capitaine du Luitpold accepta d’emmener les croisés jusqu’aux berges du lac Hellsein, mais pas plus loin. A partir de là, la croisade devrait continuer à pied.

[...]

LE TRISTE DESTIN DE LA SYLVANIE

Depuis le retour des survivants de la croisade, la bataille des Tertres est commémorée comme une glorieuse victoire. En réalité, ce fut une bataille désespérée où des centaines d’hommes périrent dans la boue ou transpercés par des lames rouillées.
Les croisés savaient qu’ils tenaient là l’ultime chance d’éviter que la Sylvanie soit définitivement engloutie par les ténèbres. Ils chargèrent les rangs des morts-vivants avec l’énergie du désespoir, brisant les cages thoraciques et les crânes dans une frénésie de violence. Mannfred avait prévu une telle obstination de la part des impériaux, et échafaudé son plan en conséquence. En disposant des rangs innombrables de cadavres frais devant sa ligne de bataille, il laissa les humains s’épuiser contre ses poupées de chair, tout en ressuscitant promptement les morts-vivants qui tombaient sous leurs coups. Certes, les harangues de Volkmar galvanisaient ses troupes, mais même le grand théogoniste sentait la fatigue s’emparer de ses membres.
Ce n’est que lorsque les coups des croisés commencèrent à faiblir que Mannfred engagea ses réserves. Des revenants et leurs rois lourdement équipés surfirent des tertres de part et d’autre de la ligne de bataille impériale, et se mirent à faucher les rangs humains avec une facilité déconcertante. Pire encore, les croisés morts se relevèrent pour attaquer leurs anciens camarades. Les visages des macchabées étaient tordus dans un rictus macabre tandis qu’ils se jetaient férocement sur les vivants. La ligne de bataille de l’Empire faiblit, au point qu’elle se retrouva à deux doigts de la déroute.
C’est alors qu’une lumière dorée recouvrit le champ de bataille et que le sol s’ouvrit en de multiples endroits. Cette fois, ce ne furent pas les morts qui émergèrent de leurs tombeaux, mais les symboles sacrés que les agents de Mannfred avaient enterrés des mois auparavant dans cette terre maudite. Des marteaux de Sigmar dorés, des totems d’Ulric en argent et même des symboles solaires en bronze de Myrmidia se retrouvèrent suspendus par des fils invisibles au-dessus du champ de bataille. Le message codé envoyé par l’héliobolis avait atteint le patriarche Balthasar Gelt en personne : celui-ci avait célébré un rituel pour aider ses alliés.
Ses effets se faisaient sentir à un moment critique et furent spectaculaires. La lumière des symboles sacrés flétrissait les corps des morts-vivants ; ceux-ci s’écroulaient dans la boue comme des sacs de vieux os. Les croisés poussèrent des cris de joie, tombèrent sur leurs ultimes adversaires et les taillèrent en pièces. En quelques minutes, la bataille avait définitivement basculé en faveur de l’Empire. Cependant, lorsque les brumes des combats se furent dissipées, il n’y avait aucun signe du grand théogoniste Volkmar….

* * *

Volkmar avait l’impression que sa tête allait exploser. Il sentait le contact de la pierre froide contre sa joue. Le tumulte de la bataille était étouffé par des murs épais : il se trouvait dans une pièce circulaire éclairée par des chandelles. L’odeur du sang était tenace.
Des cierges énormes formaient un cercle de lumière. Leur suif rosâtre dégoulinait au sol comme des larmes ignobles. Volkmar tressaillit lorsqu’un gros pied griffu apparut dans son champ de vision. Deux vargheists lui tournaient autour ; ils semblaient prendre soin d’éviter quelque chose gravé sur le sol. Une de ces bêtes était celle qui avait porté le coup l’ayant fait sombrer dans l’inconscience. Volkmar chercha instinctivement son marteau de guerre, sans le trouver, bien évidemment. Patience… se dit-il. Attend le bon moment pour agir…
Il s’aperçut que des sillons dorés creusés dans le sol décrivaient peu ou prou les contours de la Sylvanie. Ils brillaient d’une lueur surnaturelle qui lui fit mal aux yeux. Il parvint à se mettre à genoux malgré sa vision brouillée. Du sang s’écoulait le long des lobes de ses oreilles sur les épaules. Il n’osa pas porter la main à son crâne pour évaluer la gravité de sa blessure, de peur de tâter quelque chose de mou et spongieux.
Des silhouettes étaient enchaînées aux murs tout autour de lui. Certaines avaient le regard vitreux, d’autres paraissaient à peine conscientes. Il reconnut les robes blanches d’un guérisseur de Shallya, un butor barbu portant la marque d’Ulric tatoué sur le front, et un dévot de Morr qui avait été fouetté si durement qu’il était à genoux dans une mare de son propre sang. Des prêtres… pensa Volkmar. Le chevalier de Myrmidia Lupio Blas, que Volkmar avait cru tué durant la bataille, était enchaîné en face d’une damoiselle elfe au port si altier que même le sang et la crasse ne parvenait pas à le dissimuler. Une tiare brisée arborant un phénix était encore accrochée à ses tresses défaites. Entre chacun des huit captifs se trouvait un pupitre ayant la forme d’une griffe démoniaque, et sur lequel était posé un épais grimoire fermé par de lourdes chaînes dorées. A quelques pas de Volkmar, le Couronne de Sorcellerie reposait sur un coussin en peau humaine. Les joyaux qui la sertissaient brillaient à la lueur des cierges. Le grand théogoniste essayait de prendre conscience de cet environnement malgré son mal de crâne, et ce qu’il découvrait ne le rassurait pas. Parvenir à capturer autant de dignitaires et d’artefacts était le labeur de plusieurs mois, voire de plusieurs années, mais dans quel but cette œuvre avait-elle été accomplie ?
L’ombre d’une seconde, les flammes des cierges vacillèrent, puis Volkmar sentit une botte ferrée appuyer sur sa nuque pour le plaquer au sol.
« Voyez-vous cela ! » s’exclama une voix cultivée à l’accent sylvanien. « Le grand Volkmar, haut prêtre de Heldenhammer, se tortillant par terre comme un ver ! On dit que le sang de Sigmar coule dans tes veines, mon ami. Peut-être est-ce la vérité, qui sait ? »
Mannfred von Carstein… pensa Volkmar. Sa joue se pressait contre le sol dallé. Il vit un des vargheists aller d’un captif à l’autre pour leur ouvrir le poignet avec ses dents effilées. Le sang se mit à s’écouler sur les dalles vers les sillons creusés au milieu de la pièce.
Volkmar chassa la douleur de son esprit et pensa à Sigmar, son dieu-guerrier, celui qui avait banni le père des vampires alors que l’Empire était encore jeune. Il sentit une vague d’énergie nouvelle envahir ses membres engourdis et tenta de se relever en se débarrassant du pied qui pesait entre ses omoplates. Une souffrance atroce s’ensuivit lorsqu’une main griffue le saisit par le crâne et le souleva. La douleur brouillait encore sa vision tandis qu’un visage pâle tordu par un rictus haineux s’approchait du sien. Il serra le poing et frappa Mannfred si fort à la mâchoire qu’il lui déchaussa une dent.
« Malheureusement... » dit nonchalamment le vampire en crachant une canine avant d’afficher un sourire ensanglanté,  « … je crains qu’il soit trop tard pour ce genre de ruade primitive. Non seulement pour toi, mais aussi pour l’Empire tout entier. »
Un vent glacial traversa les meurtrières de la salle et souffla les cierges. Volkmar sentit immédiatement ses muscles et son esprit s’engourdir. Alors que les éléments se déchaînaient, la nuit au-dessus de la salle à ciel ouvert fut voilée par une nuée de fantômes transportant une cage de fer noir aux formes sinistres. Les vargheists se mirent à hurler de joie et à lever les bras, comme perdus dans une supplication sauvage.
« Le sang de Sigmar ! » s’exclama von Carstein en levant un regard maléfique vers le ciel. « L’ultime ingrédient afin de récupérer le royaume qui me revient de droit. » Le vampire sourit en se tournant vers ses prisonniers ; Volkmar suivit son regard. « De grandes choses peuvent être accomplies grâce au sang des vrais croyants, » poursuivit Mannfred. « La Sylvanie va devenir une terre où la foi n’aura plus prise, et où tous vos symboles sacrés ne seront plus que des breloques sans pouvoir. Tout cela parce que votre propre sang se sera retourné contre vous. »
Volkmar sentit qu’on le ceinturait, et éprouva une vive douleur au poignet lorsque Mannfred le taillada avec ses griffes. Le vampire ouvrit les lèvres de la plaie pour forcer le sang à s’écouler. Le liquide camin dégoulina le long des doigts gourds de Volkmar. Le grand théogoniste observa avec horreur son essence vitale se mêler à celle des autres jusqu’à ce que les sillons dorés s’empourprent totalement.
Volkmar tentait de rester conscient alors qu’on le soulevait. Il sentit qu’on le portait jusqu’à une des rares fenêtres de la tour, afin qu’il regarde les montagnes qui ceinturaient la vallée. Il aperçut une lumière rouge qui faisait écho aux contours que les sillons dessinaient sur le sol de la pièce, et dans cette lumière rouge, il distingua des amoncellements d’ossements qui s’élevaient progressivement du sol, jusqu’à former un rempart au niveau des frontières de la Sylvanie.
« Non ! » hurla Volkmar tandis qu’il réalisait enfin de quelle façon le vampire comptait transformer la province en une forteresse de la non-vie. « Soit maudit ! Je ne vais pas te laisser faire ! »
La vigueur surnaturelle de son dieu l’envahit de nouveau et il repoussa von Carstein avant de tenter de canaliser son pouvoir en une décharge d’énergie.
En vain.
« Je te l’ai déjà dit, c’est trop tard... » le nargua Mannfred d’une voix glaciale. « Aucun mortel ne peut plus me défier. »
La dernière chose que vit Volkmar avant de sombrer dans les ténèbres fut les canines du vampire qui se rapprochaient de sa gorge.