LA QUÊTE PÉRILLEUSE

La Quête Périlleuse est la quatrième des cinq boites de campagne publiées à l'époque de la cinquième édition de Warhammer. On y suit les aventures de bretonniens, notamment Agravain de Beau Geste, contre les elfes sylvains.

Il est regrettable que l'on est aucun élément pour dater les évènements (sinon qu'on est au début de l'hiver). On peut cependant supposer qu'ils sont assez anciens puisqu'on en trouve plus trace dans les chronologies elfes ou bretonniennes.

Pour bien comprendre, il y a deux "chansons" :
- Celle de Chanterelle de Chalotte (décrite comme agée de plusieurs siècles au moment où Agravain s'en préoccupe). Elle passe à la postérité gràce au ménestrel Rainourt.
- Celle composée par Blondel (allusion à Blondel de Nesle - lien Wikipédia) suite aux combats entre les elfes sylvains du clan des Saules et le duché de Quenelles, décrits ici. C'est dans ceux-ci que viennent s'inscrire la quête personnelle d'Agravain.

Remarques du Baron Guilhem de La Tour :

"La Ballade de Chalotte est une allusion transparente à un poème de Tennyson bien connu des lycéens anglais : The Lady of Shalott. Agravain évoque aussi Ariel sous le nom de "la Dame Sans Merci", ce qui est à peu près le titre d'une ballade de Keats, La Belle Dame sans merci (en français), titre qui fait lui-même référence à un poème du XVe siècle. Le romantisme anglais s'était passionné pour les romans arthuriens, et la Bretonnie de la cinquième édition baigne complètement dans cette ambiance de dames mystérieuses, de chevaliers en armure étincelante et de lacs brumeux, ce genre de clichés.
De façon amusante, shallot, avec deux l et un seul t, signifie échalote. On a les dames qu'on peut."

La campagne en .pdf

Les décors en .pdf (annexe 3)

"La Quête Périlleuse" est basée sur la fameuse ballade chantée par les troubadours bretonniens "La chanson de Challotte", adaptée par le ménestrel Blondel d’après un vieux texte bretonnien "La Damoiselle de Challotte".

Chanterelle de Challotte, d'après la fameuse Ballade de Challotte

La chapelle du Graal de Challotte s'élevait sur une île située au milieu du fleuve Brienne, entourée de toutes parts par la Forêt de Loren. La gardienne de ce sanctuaire béni était la Damoiselle de Challotte, une femme d'une incomparable beauté et d'une bonté renommé dans tout le royaume.

Chanterelle faisait des potions de soin dans son calice enchanté. Au grand regret des mystérieux elfes sylvains qui vivaient dans ces bois sauvages, elle soigna nombre de chevaliers errant ou paladins, fourbus et blessés, qui s'étaient égarés dans la Forêt de Loren. En remerciement, beaucoup de ces chevaliers jurèrent de rester avec elle pour la défendre, elle et sa chapelle, contre les innombrables périls et ennemis qui hantaient la forêt. Les chevaliers défendirent leur dame, mais chaque jour nouveau voyait leur nombre décroître car, l'un après l'autre, ils tombèrent vaillamment au cours de combats mortels qui les opposèrent à toutes sortes d'ennemis.

Un jour donc, avec ses serviteurs, réduits au nombre de trois écuyers et un ménestrel, Chanterelle décida d'entreprendre un voyage jusqu'à Quenelles pour y trouver quelques chevaliers désireux de se joindre à son escorte. Par crainte pour ses serviteurs, elle décida de faire le périlleux trajet sur le fleuve Brienne, un bateau transportant ses serviteurs, et un seconde pour elle-même.

Mais les bateaux tombèrent dans une embuscade tendue par un ennemi inconnu et qui, caché dans des buissons sur la berge du fleuve, fit pleuvoir une volée de flèches. Toute l'escorte de Chanterelle fut tuée autour d'elle et son propre bateau partit à la dérive. Le fort courant l'emporta et elle disparut à jamais.

Seul son dévoué ménestrel, Rainourt, qui voyageait dans l'autre bateau, atteignit Quenelles vivant. Après s'être remis de ses nombreuses blessures, il composa la célèbre chanson de la Damoiselle de Challotte en mémoire de sa dame bien aimée, avant de se jeter de désespoir du haut de la plus haute tour de la cité.

AGRAVAIN DE BEAU GESTE

La nuit tombait sur le domaine de Beaumarchais. Un grand feu rugissant baignait de lumière la grande salle du donjon du château où un troubadour de passage venait à peine de terminer sa chanson "La damoiselle de Challotte", un récit sur l’honneur et la bravoure bretonnienne et sur la perfidie des elfes sylvains. Il s’apprêtait à recevoir son salaire, quelques tranches de la meilleure venaison et un pichet de grand vin.

"Le Roi et la Reine des Bois ne sont-ils pas les alliés du souverain de Bretonnie ?" demanda Damoiselle Isabelle.

"Oui et non" répondit son frère Agravain, plongé dans ses pensées.

"Oui et non, non et oui, oui, non, peut-être, parfois, jamais !" intervint le bouffon, brandissant sous le nez d’Agravain sa marotte fixée au bout d’un bâton.

"La ferme et pousse-toi de là, vieux fou !" aboya Agravain agacé.

"Ne sois pas méchant avec ce pauvre Jasper, Agravain ! Il est le seul à pouvoir arracher un sourire à notre mère depuis que père est parti guerroyer !" dit Isabelle. "Et tu n’as pas vraiment répondu à ma question."

Son frère poursuivit.

"Le peuple magique de la forêt de Loren n’est loyal qu’envers lui-même. J’ai entendu parler de nombreux chevaliers partis en quête dans cette région et qui n’en sont jamais revenus ! Malgré cela, notre roi reste fidèle à ce vieux serment de respecter le royaume des fées. Les légendes disent que ces gens nous ont jadis aidés, mais quiconque de censé sait très bien qu’ils ne l’ont fait parce que nous avions des ennemis communs !"

J’ai une autre question" dit Isabelle. "La reine des Bois est-elle la Dame du Lac ?"

"Ne tires-tu aucun enseignement de ce qui est dit à la chapelle du Graal ?"

"Est-elle la Fée Enchanteresse ?" questionna Isabelle en voulant taquiner son frère.

"Chère sœur, ton ignorance m’exaspère !"

"Qui est-elle alors, cher frère, puisque tu sais tout ?"

"On l’appelle La Dame Sans Merci car c’est une sorcière qui conduit à leur perte les vaillants chevaliers qui s’aventurent dans la forêt."

"Il me semble, mon frère, que le peuple des fées te fait peur !"

"Ils ne me font pas peur !" protesta Agravain.  "Si seulement le roi voulait bien lever l’interdit et déclarer une guerre sainte, la forêt serait rapidement une nouvelle et belle province pour son royaume ! Nombreux sont les jeunes chevaliers à la recherche d’un domaine ces temps-ci. Ils n’ont peur de rien et moi non plus !"

"Quelle idiotie !" dit leur mère, la baronne de Beaumarchais, en entrant dans la salle. Le voile de sa haute coiffe flottait avec élégance dans son sillage et elle vint s’asseoir au coin du feu pour continuer sa tapisserie. "Quel jeune impétueux que vous faites ! Je ne veux pas vous voir vous engager dans une guerre sainte quelle qu’elle soit ! Il suffit déjà de votre père qui est lié par l’honneur au service du roi. Votre tour viendra suffisamment tôt, et quand cela sera, pour votre salut, je prie pour que vous n’ayez comme ennemis que des orques !"

Agravain, qui était en âge de porter les armes en tant que Chevalier Errant, avait reçu de son père la charge de protéger le château plutôt que de partir à la guerre à ses côtés comme écuyer. Il se sentait parfois aigri d’avoir été ainsi laissé en arrière, mais il avait conscience que sa mission était un signe de confiance. Garder et défendre le domaine de son père, protéger sa sœur, sa mère et les gens du village. Il ne fut donc pas blessé par les remontrances de sa mère, qui avait de toute façon toujours clairement donné son opinion. Il savait qu’elle attendait avec anxiété le retour du baron, tout comme eux tous d’ailleurs.

L’ECU DU BARON

Les nouvelles voyagent lentement le long des routes de Bretonnie. Le baron était parti en guerre avec vingt de ses sujets au printemps et les moissons étaient maintenant mises à l’abri. Un jour, trois cavaliers arrivèrent au village, c’était tout ce qu’il restait de la suite d’écuyers du baron. Le pont-levis fut abaissé et la famille du baron se rua à leur rencontre dans la cour. Ils tenaient à peine en selle, fourbus et blessés. Le baron n’était pas avec eux, mais l’un des écuyers portait son bouclier fendu en deux.

"Où est mon époux !" S’écria la baronne.

Les écuyers étaient abattus. "Hélas, ma dame, il est tombé au combat !"

La baronne et sa famille reçurent cette terrible nouvelle avec toute la dignité qui sied à la noblesse bretonnienne. Les larmes seraient pour plus tard, pas en présence de roturiers.

"Comment se fait-il que vous ayez survécu !" demanda la baronne.

"Ma mère !" l’interrompit Agravain. "Ne mettez pas en doute la valeur de ces braves gens."

L’écuyer poursuivit d’une voix rendue tremblante par l’effort.

" Nous avons rapporté son écu, ma dame. Le baron de Beaumarchais est tombé avec honneur, accomplissant un grand fait d’arme. C’est sa valeur qui nous a apporté une grande victoire, il a mené une charge en plein cœur des skavens et les a repoussés jusqu’à la mer. Mais l’ennemi, en pleine déroute, riposta avec des sorts démoniaques et des objets indignes d’honneur. Nous fûmes assaillis de flammes et de vapeurs maléfiques, et de toute la compagnie, nous fûmes les seuls survivants. Nous l’avons cherché sur tout le champ de bataille, ma dame, mais tout ce que nous avons retrouvé, c’est son écu."

La baronne repris alors la parole." L’écu est une relique sacrée qui vient de la chapelle du Graal. Hélas ! Je pensais qu’il épargnerait à mon époux une telle destinée. Mais puisque c’est tout ce qu’il reste de lui, que je sois ensevelie avec !" Elle prit alors le bouclier et retourna dans le grand donjon du château. Deux jours plus tard, la baronne mourut de chagrin. Elle fut enterrée dans la chapelle du Graal, sous le bouclier de son époux.

"APPORTEZ-MOI LA TETE DE MALDROGON !"

Les premières gelées arrivèrent. Peu de temps après, des orques furent aperçus à la lisière des champs les plus éloignés. Agravain et Isabelle se réchauffaient auprès du foyer dans la grande salle lorsque le vieux Jules, l’intendant du baron, s’approcha.

"Il y a quelque chose dont je voudrais vous entretenir tous deux. Il est temps de décider de l’avenir du domaine et vous, ma dame, devez déclarer une quête de chevalerie et offrir ces terres à quiconque s’en montrera digne."

"Quiconque ?" répéta Agravain stupéfait.

"Oui." dit Jules. "Un autre Chevalier Errant sera là. Certains paysans ont persuadé Jacques de s’atteler à cette tâche. J’ai tout organisé pour que votre sœur descende au village demain après-midi et déclare la quête. On a encore vu rôder des orques, nous ne pouvons pas attendre davantage !"

"Pourquoi voudrait-il entrer en compétition avec moi pour les terres de mon propre père ! Il n’a donc aucun sens du respect ?"

"Ne lui en veux pas, mon frère." dit Isabelle. "C’est un homme de bien, je comprends pourquoi les paysans l’ont choisi. De toute façon, c’est finalement la Dame du Lac qui choisira entre vous deux."

Agravain était un jeune homme observateur. Il avait remarqué la manière dont sa sœur souriait souvent au jeune et charmant berger, Jacques, qui avait déjà abattu plusieurs orques en défendant son troupeau.

"Ce ne sont pas seulement les paysans qui ont persuadé Jacques, n’est-ce pas Isabelle ?"

La sœur d’Agravain rougit légèrement.

"Je n’ai plus grand désir que de te voir hériter du domaine de notre père, mais je ne veux pas passer ma vie comme damoiselle dans la chapelle du Graal pendant que la plus belle jeune fille du village sera assise à tes cotés avec le titre de baronne. Je veux un époux qui soit brave ! Que se passera-t-il si tu ne reviens pas de ta quête, Agravain ? Ainsi, quel que soit celui reviendra, les terres de notre père resteront dans sa famille, que ce soit grâce à toi, ou grâce à moi si j’épouse Jacques. Comme je l’ai dit, cher Agravain, laissons la Dame du Lac décider !"

L'après-midi suivant, deux Chevaliers Errants montés sur leurs destriers attendaient devant les portes du château. Agravain était persuadé que sa machiavélique sœur l'enverrait dans une quête en plein cœur de la Forêt de Loren, en espérant ne jamais le revoir. Avant que Damoiselle Isabelle n'apparaisse aux remparts pour annoncer la quête, Jacques se tourna vers Agravain. "S'il faut que seul l'un de nous ne revienne, Agravain, je prie la Dame du Lac pour que ce soit vous." Ceci déclencha les hourras des paysans et arracha des larmes à quelques-unes de leurs filles.

"Ce sont les mots d'un vrai bretonnien !" répondit Agravain, qui avait suffisamment de noblesse pour savoir en son âme et conscience que Jacques était digne de recevoir la charge du domaine de son père. "Ainsi, Jacques, que je ne sois victorieux que si vous avez déjà vous-mêmes échoué !" Ceci raviva les hourras et les larmes des villageois rassemblés.

Une trompette sonna alors et damoiselle Isabelle apparut, radieuse, même si elle avait passé toute la nuit à prier dans la chapelle du Graal, recherchant l'inspiration pour la quête qu'elle allait annoncer aux deux jeunes hommes. "J'ai décidé, puisque que cela semble juste et bien, de vous assigner la même quête, vous serez ainsi face aux mêmes périls." annonça damoiselle Isabelle, "Le premier qui achèvera cette quête deviendra le maître du domaine de Beaumarchais. Voici la quête..." L'assemblée retint son souffle, "… rapportez-moi la tête de Maldrogon !"

Les paysans explosèrent de joie, et les représentantes du sexe faible laissèrent couler encore un peu plus de larmes, comme le fit damoiselle Isabelle en regagnant rapidement le château. C'était une quête de chevalerie plutôt traditionnelle, Maldrogon était une menace constante sur Beaumarchais et les domaines voisins. Il s'agissait d'un terrible dragon qui planait au-dessus des champs et enlevait les jeunes pasteurs et les fermières pour en faire ses repas. Des Chevaliers Errants venus des fiefs alentours avaient déjà tenté cette quête à de nombreuses reprises, mais le dragon était toujours en vie et eux, non.

Agravain laissa échapper un discret soupir de soulagement. Rien qu'un malheureux dragon ! Son destin n'était donc pas de disparaître corps et âme dans la mystérieuse Forêt de Loren comme beaucoup avant lui. Du moins, pas encore !

QUERELLE D'HONNEUR

Ce même jour, un peu plus tard, les deux chevaliers se mirent en route. Ils furent vite sur la route qui menait de Beaumarchais aux villages voisins. "Nous ne devons pas attendre," dit Agravain. "Isabelle est toute seule, cette tâche doit être accomplie au plus vite !"

"Je n'attendrais pas !" répondit Jacques en éperonnant sa monture sur la route de Dinois. Agravain prit quant à lui la direction de Bayens et Bellay.

Traversant les villages de Bayens et de Bellay, Agravain questionna des paysans au travail dans leurs champs. À Bayens, il reçut l'hospitalité au château. À Bella, il dormit dans la forêt sous son bouclier car les terres étaient désertées. Au troisième jour, Agravain reprit la direction de Dinois. Là, il découvrit que les habitants avaient récemment subi les affres de Maldrogon. Ils lui montrèrent des collines rocheuses au loin, précisant que le dragon était parti dans cette direction. Les collines étaient en plein milieu des landes sauvages qui bordaient la mystérieuse Forêt de Loren, au-delà des pierres magiques qu'aucun homme ne devait franchir. C'était pour cela que nul n'avait encore traqué Maldrogon jusqu'à son repaire.

Les paysans dirent qu'ils avaient vu la veille un autre chevalier chevaucher dans la même direction, mais qu'ils ne l'avaient pas vu venir. Entendant ceci, Agravain se hâta vers les collines. Alors qu'il progressait sur les pentes, baignées d'un épais brouillard humide, Agravain entendit un cheval hennir non loin. Il poussa son propre destrier en avant et se trouva bientôt devant l'entrée d'une énorme caverne. De nombreux ossements étaient éparpillés autour de l'entrée, et l'air était alourdi par la puanteur des carcasses en décomposition. Debout devant lui, Jacques attendait devant la caverne. "Il fera bientôt nuit noire, et Maldrogon sera de retour. Puisque vous êtes là, Agravain, je vous laisse l'honneur d'attaquer en premier."

"Non, Jacques, c'est vous qui méritez cet honneur."

"Permettez moi d'insister, Agravain ! Je vous laisse la première attaque et la chance de gagner les terres de votre père !"

"Non, sur mon honneur Jacques, c'est moi qui insiste ! Vous étiez là avant moi, c'est votre droit d'attaquer en premier !"

"Puisque nous ne pouvons nous mettre d'accord, attaquons quand nous le voudrons et celui qui portera le coup mortel gagnera l'honneur de ce fait d'arme."

"Parfait ! Accepta Agravain, "Laissons la Dame choisir entre nous !"

Ils entendirent alors les grognements terrifiants du dragon qui approchait. Les destriers apeurés reculèrent de quelques pas lorsque Maldrogon déchira le brouillard et se posa directement devant leurs naseaux. Les deux chevaliers levèrent leurs lances en même temps, poussèrent leurs cris de guerre et chargèrent.

Le dragon fut pris par surprise et, juste au moment où il ouvrait ses immenses mâchoires pour libérer son souffle brûlant, Agravain plongea sa lance au plus profond de sa gorge. La lance se brisa en deux quand le dragon tituba, mortellement blessé. Au même moment, Jacques enfonçait sa propre lance dans le cœur de la bête.

L'énorme bête roula au bas de la colline rocheuse sous les yeux d'Agravain et de Jacques qui tentaient de retrouver leur souffle. Jacques prit le premier la parole.

"J'en suis certain, Agravain, vous avez porté le coup mortel !"

"Non, Jacques, c'est votre lance qui a transpercé le cœur du monstre. C'est vous qui avez porté le coup mortel !" protesta Agravain.

"Je suis prêt à jurer s'il le faut que le coup mortel vient de vous !" continua Jacques.

"Et moi, je suis prêt à jurer que vous en êtes l'auteur !" répondit Agravain.

"Si nous ne pouvons nous décider maintenant, nous devrons nous opposer dans un combat à mort lorsque nous serons de retour à Beaumarchais."

"Qu'il en soit ainsi !" conclut Agravain.

LE CHEVALIER DE BEAU GESTE

Les paysans en liesse fournirent un chariot pour transporter la tête de Maldrogon jusqu'à Beaumarchais. Isabelle apparut sur les remparts dès leur arrivée.

"La tête de Maldrogon est à vous." déclara Agravain.

"Je remercie la Dame du Lac de vous avoir gardé tous deux en vie et en bonne santé. C'est plus que je n'en espérais ! Dîtes-moi maintenant la vérité, mon frère, lequel de vous deux a tué le dragon ?"

"Jacques a porté le coup mortel." répondit Agravain.

"Non, sur mon honneur, c'est Agravain qui a porté le coup mortel !" insista Jacques."L'honneur exige que nous nous départagions dans un combat à mort," annonça Agravain à destination de la population rassemblée, "laissons la Dame du Lac décider !"

"La Dame décidera !" dit Isabelle avec colère. "Mais vous ne vous battrez pas à l'un contre l'autre ! Il est de mon pouvoir de vous déclarer tous deux dignes du titre de chevalier, qu'il en soit ainsi !"

"Qui alors aura la charge de Beaumarchais ?" demanda Agravain.

"Par la Dame du Lac, il est aussi en mon pouvoir de le décider. J'épouserai Jacques !" Agravain et Jacques savaient tous deux qu'en acceptant la quête ils s'étaient liés, de par le code de la chevalerie à accepter sa décision. Agravain n'avait rien à faire d'autre que de prêter serment d'allégeance à son nouveau beau-frère, Jacques, ci-devant baron de Beaumarchais.

Il jura de le servir comme Chevalier Errant jusqu'à ce qu'il reçoive un domaine pour lui-même, que ce soit de la part du baron ou de celle du roi. La réponse de Jacques de Beaumarchais tomba à la surprise de tout le monde. "Je vous relève de votre serment, Agravain ! Vous êtes libre de chevaucher vers Couronne pour vous mettre au service du roi. Nul doute qu'il récompensera un vaillant chevalier comme vous par un domaine de choix !"

"Non !" reprit Agravain. "Je sais ce qu'il me reste à faire. Je déclare ici me lancer dans la quête du Graal. Je jure de me dévouer à la Dame du Lac, de la servir elle et elle seule jusqu'à la mort. Où qu'elle me guide, j'irai !"

Ce discours surprenant fut accueilli par les acclamations des villageois. Chacun savait qu'un tel vœu attirerait les faveurs de la Dame du Lac sur Beaumarchais. Le soleil brillerait, les cultures pousseraient bien haut ! Isabelle fut remplie d'admiration pour son frère, non sans une pointe de tristesse car elle savait ce que ce vœu signifiait pour lui. "Beau Geste !" déclara-t-elle. "C'est le titre que je vous donne ! Agravain de Beau Geste, vous faîtes retomber sur nous tous honneur et bonne fortune !"

Il ne restait plus à Jacques et à Agravain qu'à être comme il se doit adouber chevaliers par damoiselle Isabelle dans la chapelle du Graal, ce qui fut suivi par les festivités du mariage d'Isabelle et de Jacques. Agravain passa la nuit à veiller dans la chapelle du Graal, y cherchant l'inspiration pour sa quête. Dans ses rêves, il vit une belle dame, un regard désespéré éclairait son doux visage et elle plongeait un magnifique calice doré dans les eaux d'une profonde rivière.

LE TOURNOI DE QUENELLES

 Plusieurs couplets de la chanson de Challotte parlent du grand tournoi de Quenelles durant lequel Agravain et la fine fleur de la chevalerie bretonnienne se mesurèrent aux arrogants princes d’Athel Loren. Le prix du tournoi était le calice de Chanterelle, la légendaire Damoiselle de Challotte.

Le tournoi de Quenelles

Agravain sortit de la chapelle du Graal de Beaumarchais et se prépara à quitter le domaine de ses ancêtres. Il endossa le tabard que sa sœur lui avait confectionné aux couleurs de Beaumarchais et portant la Fleur de Lys, emblème des Paladins. Il avait décidé de ne pas porter le symbole du dragon, que Jacques avait choisi pour ses propres armoiries.

"Où vas-tu aller ?" demanda Isabelle en disant au revoir à son frère.

"Je vais tenter ma chance au tournoi de Quenelles," répondit-il sans rien révéler de sa mystérieuse vision.

Agravain venait à peine de passer les dernières maisons du village qu’il croisa Blondel le troubadour, et Jasper le bouffon. Les deux compères le supplièrent de les laisser l’accompagner dans sa quête en tant que ses serviteurs. Agravain accepta finalement à la condition que Blondel compose une chanson pour immortaliser ses faits d’armes et que Jasper abandonne ses blagues ridicules et se contente de s’occuper de son destrier. La toute dernière farce de Jasper fut de s’affubler du titre de Jasper de Beaux Restes !

Quenelles n’était qu’à quelques journées de cheval en direction du sud est, mais Agravain n’y était jamais allé auparavant. En passant sous les grandes portes et en s’aventurant dans les rues grouillantes, il se trouva confronté au premier test de sa quête : résister aux tentations qu’offrait Quenelles !

La cité était en fête car un magnifique tournoi allait commencer. Des chevaliers étaient venus des coins les plus reculés du duché et même d’au-delà pour tenter leur chance. Parmi eux se trouvaient des chevaliers errants, venus se couvrir de gloire à la joute, et des Paladins, comme Agravain, peut-être attirés là par les desseins mystérieux de la Dame du Lac.

Le prix du tournoi était un calice ancien d’une facture inégalée. Des pêcheurs l’avaient trouvé dans le lit de la Brienne, tout près de la Forêt de Loren. Certains croyaient qu’il remontait aux anciens elfes, en ces jours où une splendide et florissante cité s’élevait sur les rives du grand fleuve et dont les ruines étaient ensevelies sous les rues étroites et tortueuses de Quenelles. Certaines personnes naïves et crédules croyaient même qu’il ne s’agissait de rien d’autre que du calice de Chanterelle, la légendaire Damoiselle de Challotte.

Agravain jeta un œil sur le calice exposé dans le pavillon qui abritait les prix. Il lui sembla étrangement familier, comme quelque chose qu’il avait déjà vu en rêve. N’était-il pas évident maintenant que la Dame du Lac attendait de lui qu’il gagne ce calice dans la poursuite de sa quête ? Peut-être le calice était-il le Saint Graal lui-même ? D’autres paladins venus prendre part au tournoi avaient sans aucun doute la même idée.

L’arrivée des elfes sylvains

La veille du tournoi, Quenelles fut soudain très agitée. Des princes elfes sylvains étaient venus d’Athel Loren pour participer aux épreuves. Une telle chose n’avait jamais été relatée que dans les légendes et personne ne se souvenait y avoir assisté de son vivant.

Agravain écouta avec un grand intérêt les rumeurs et les commérages qui couraient sur les elfes sylvains. On racontait qu’ils appartenaient au clan des Saules et qu’ils réclamaient le calice et les autres prix car ils appartenaient à leur clan puisqu’ils avaient été trouvés à l’intérieur des frontières d’Athel Loren. Que ceci soit vrai ou pas ne faisait aucune différence pour les Bretonniens. Les reliques éparpillées à travers toute la Bretonnie étaient très nombreuses et la plupart, selon toute vraisemblance, étaient de fabrication elfique ou naine. De plus, les Bretonniens avaient l’habitude de se méfier des aventuriers elfes ou nains qui recherchaient les trésors perdus de leurs ancêtres. La coutume voulait que l’on résolve ces disputes par un combat honorable. Un tel calice était donc un prix tout à fait adapté pour cette journée, qu’il revienne à celui qui s’en montrerait digne par sa valeur et ses faits d’arme ! Si les elfes le voulaient, il semblait convenable qu’ils se battent pour lui selon les règles de la chevalerie. C’était, semblait-il, ce qu’ils avaient l’intention de faire.

La mort plutôt que le déshonneur

Le jour suivant, avant que le tournoi ne commence, les hérauts annoncèrent que le duc de Quenelles avait accepté le défi des princes elfiques et changé d’un commun accord les règles traditionnelles du tournoi. Au lieu des joutes habituelles suivies d’un défi où les participants tenteraient de désarçonner le champion anonyme du duc, le Chevalier Noir, on assisterait à ce jour à un affrontement direct opposant la chevalerie bretonnienne à celle des elfes sylvains. Le calice reviendrait au camp ayant le plus de cavaliers toujours en selle à la fin du tournoi. Si les bretonniens gagnaient, le calice serait ensuite donné à la chapelle du Graal de Quenelles. Si les princes elfiques gagnaient, ils pourraient emporter le calice et tous les autres prix à Athel Loren. Agavain, à sa grande surprise, fut nommé par les hérauts pour faire partie de l’équipe bretonnienne. Son nom était même en tête de la liste car des rumeurs sur sa bravoure et sa noblesse étaient arrivées jusqu’au duc.

Juste avant le début des joutes, le héraut des elfes sylvains galopa sur le champ du tournoi et fit une déclaration devant l’assemblée de dignitaires et de paysans venus de toute la région. Il annonça que les princes elfiques étaient prêts à combattre jusqu’à la mort et qu’ils souhaitaient que les Bretonniens fissent de même. Bien sûr, les chevaliers bretonniens n’allaient pas refuser un tel défi. L’honneur le leur interdisait ! Le duc et sa ravissante fille, la belle Mélissande, présidaient au tournoi. Semblant profondément désolée pour les jeunes chevaliers bretonniens, elle leur fit l’honneur d’accorder à chacun sa bienveillance dans l’espoir que cela leur porterait chance et renforcerait leur détermination.

Un par un, les chevaliers bretonniens passèrent devant l’estrade et abaissèrent leur lance pour que la belle Mélissande y attache un fragment de sa robe. Le dernier fut Agravain mais la damoiselle s’était déjà débarrassée de plusieurs décimètres carrés de tissu et commençait à se sentir un peu gênée. Pour épargner à la jeune femme les railleries de la populace, le galant Agravain déclina l’offre de sa faveur.

"Sur mon honneur, vous recevrez quelque chose !" dit la noble Mélissande, tirant un stylet de dessous son dernier jupon, elle coupa une tresse de ses cheveux et la noua au heaume du chevalier, ce qui fit fuser les exclamations de la foule. Les deux équipes se mirent alors en position l’une en face de l’autre, de part et d’autre du champ du tournoi, et Damoiselle Mélissande tira au sort l’adversaire de chacun.

Résultat historique

Agravain, René et Louen, pour l'équipe des bretonniens, désarçonnèrent leurs adversaires. Du côté des elfes sylvains, Athelwyn, Aelfrye et Gyferth firent subir le même sort aux chevaliers bretonniens. Le concours était donc nul et il aurait fallu livrer un autre tour de joute pour désigner celui à qui reviendrait le calice. Cependant, au même moment, la bataille des tentes faisait rage : Athelyn et ses compagnons, sans considération pour les règles de l'honneur, en profitèrent pour s'éclipser du tourni, les prix étant déjà en leur possession !

La meilleure manière de raconter les événements qui se déroulèrent au tournoi de Quenelles est de reprendre les couplets correspondants de la Chanson de Challotte. Après plusieurs couplets décrivant les faveurs accordées par Damoiselle Mélissande, l'issue du tournoi est donnée par un couplet pour chaque joute. Gardez à l'esprit que la traduction à partir du vieux bretonnien fait perdre au texte un peu de sa substance.

JOUTE PREMIÈRE
Gaufrey de Querny est désarçonné par Gyforth des Bois de Chênes
Au grand galop s'élança Gaufrey de Querny
nul galant chevalier n'eut frappé plus fort
l'écu de son ennemi,
le rusé Gyforth des Chênes, sinistre useur de sorts.
Gyforth le malin baissa sa lance
pour frapper vaillant Gaufrey d'un vil coup de chance !
Gaufrey roula au sol,
ainsi tomba chevalier à la renommée grande
par traîtrise d'un prince elfique,
et pleura noble Mélissande
 
JOUTE SECONDE
Guilbert de Bois d'Auverne est désarçonné par Aelfryc le Haut
Vint Guilbert de Bois d'Auverne
de grand talent selon l'histoire.
Vint en face le fourbe Aelfryc le Haut,
qui de sa lance esquiva pour ne point choir
et à la charge ils se lancèrent à nouveau.
Le prince elfique était bien né,
et brave Guilbert fut renversé,
aux pieds des damoiselles éplorées.
 
JOUTE TROISIÈME
Agravain de Beau Geste désarçonne Bloeth le Téméraire
Sur brave Agravain de Beau Geste, reposait l'honneur,
chevalier d'un tel talent, nul doute qu'il fut le meilleur.
Contre Bloeth le Téméraire qui tenait, dit-on, bouclier enchanté,
Agravain portait la Tresse de Mélissande, si noble et fière
que tous les vilains elle eut fait trembler !
Car bouclier enchanté n'est rien
contre faveurs qu'une dame de bien,
l'arrogant et triste Bloeth se trouva bien vite au sol
et rirent les paysans d'un aussi bel envol !
JOUTE QUATRIÈME
Jean de Ponthieu est désarçonné par Athelwyn d'Athel Loren
Arriva ensuite galant Jean de Ponthieu
mais Athelwyn le sombre était venu aussi !
Le destin que pourtant vous servîtes de votre mieux
priva noble dame depuis
de votre bonne compagnie
lorsqu'Athelwyn le fourbe, d'un coup, vous abattit.
 
JOUTE CINQUIÈME
René de Guysne désarçonne Cuthrun le Loup
René de Guysne vite le cynisme du loup
qui tenait sa lance comme paysan son bâton !
Et quand à nouveau il chargea contre son noble adversaire,
Cuthrun le Loup, le rusé mais bien lent,
ne fut pas de taille contre René vif comme l'éclair
qui par deux fois le blessa et l'envoya sur le champ.
 
JOUTE SIXIÈME
Louen d'Artenois désarçonne Wykas des Ormes
Louen d'Artenois, si humble, brave et hardi
dont tant de contes vantent la galanterie,
était assez adroit pour battre son monde,
Wykas des Ormes ou quiconque à la ronde !
De leurs lances tous deux se sont heurtés
et grâce soit rendue à la destinée,
brave Louen, sur le sol ne fut point jeté,
car Wykas le vil avait absorbé potion
et de ce coup sournois, il n'avait été question.
Mais honneur toujours l'emporte sur mauvais sort,
il croisa la lance de Louen qui le laissa pour mort.
LA BATAILLE DES TENTES

 Cette bataille est basée sur le couplet de la chanson de Challotte qui raconte comment la trahison des elfes leur permit de voler les prix du tournoi sans même attendre de savoir si leurs concurrents auraient pu les gagner en combattant honorablement ! Ce comportement devait avoir par la suite de sérieuses conséquences.

La trahison des elfes

Réalisant que la victoire des elfes dans le tournoi était loin d’être certaine après avoir vu un autre prince sylvain jeté à bas de la selle, Athelwyn fit un signal discret à l’intention d’un de ses suivants qui s’éclipsa sans être vu. Peu de temps après, alors que l’attention de tous était portée sur les joutes passionnantes, une agitation s’éleva au milieu des tentes montées dans le champ voisin. C’était là, dans le plus grand pavillon, qu’étaient gardés les prix du tournoi.

Soudain, une bête féroce, une sorte de gros chat sauvage, jaillit entre les tentes des Bretonniens, poursuivie par plusieurs elfes sylvains. L’animal s’était échappé du campement installé dans les bois derrière le champ du tournoi, et les elfes sylvains tentaient de le rattraper, ou du moins le prétendaient-ils ! La bête plongea dans la confusion les hommes d’armes qui cherchaient à la capturer, pendant que pages et serviteurs couraient dans tous les sens pour s’écarter de son chemin.

Ce n’était qu’une diversion. L’enclos fut bientôt envahi par les elfes sylvains qui submergèrent rapidement les quelques gardes. Le grand pavillon fut ouvert et le calice dérobé. Sans aucune considération d’honneur ou de respect des règles, les elfes sylvains n’avaient même pas attendu l’issu du tournoi. C’était un comportement méprisable. Les bretonniens étaient outrés !

Surveillant le champ de tournoi depuis le Faubourg de Mayonne, le châtelain de Quenelles vit monter l’agitation. Il rassembla rapidement tous les hommes qu’il put trouver pour restaurer l’ordre et, en atteignant les tentes, il réalisa que les elfes n’étaient pas là par hasard. Malheureusement, tous les chevaliers étaient engagés dans les joutes, et n’étaient donc pas disponibles pour empêcher les fourbes elfes de dérober les prix. Accréditant la thèse du coup monté, des guerriers faucons surgirent des bois de Loren, prêts à s’emparer des objets du délit et à replonger dans les profondeurs de la forêt. Le châtelain et ses hommes devaient faire vite !

Résultat historique

Seul un couplet de la Chanson de Challotte décrit la misérable trahison des elfes à la bataille des Tentes, combat qui ne mérita pas d'être immortalisé par les ménestrels ! Dès qu'il fut alerté, le châtelain rassembla quelques hommes en grande hâte et sortit de l'enceinte de la cité. Au moment où ils arrivèrent sur place, le Calice de Chanterelle était déjà dissimulé sous la cape d'un elfe sylvain. Le châtelain envoya ses écuyers de l'autre côté de l'enclos pour tenter de couper la retraite des voleurs pendant qu'il conduisait deux compagnies d'hommes d'armes vers le pavillon des prix. Quelques écuyers tombèrent sous les flèches de éclaireurs elfes sylvains cachés au milieu des arbres, mais les autres chargèrent droit dans le camp pour intercepter les danseurs de guerre qui sortaient du pavillon.

Le châtelain lança alors ses hommes dans une charge héroïque en plein cœur d'un important parti de gardes sylvains et d'archers qui se tenaient par défit entre le pavillon et eux. Les archers s'éparpillèrent, le châtelain et ses hommes se lancèrent à leur poursuite alors que les hallebardiers heurtaient de plein fouet les gardes sylvains.

Contre toute attente, les elfes, plutôt habiles avec leurs lances longues et effilées, prirent le dessus sur les bretonniens qui ne pouvaient par utiliser leurs boucliers et manier en même temps leurs hallebardes. La vue des hallebardiers en fuite jeta les lanciers dans la panique, rapidement suivis dans leur fuite par une poignée d'écuyers qui se replièrent et évitèrent une autre désagréable rencontre avec les danseurs de guerre.

Quant aux archers bretonniens qui se tenaient à bonne distance, ils ne virent pas le moindre elfe qui put leur servir de cible. Le châtelain, un homme exemplaire et qui était alors plongé dans une rage digne d'un chevalier, poursuivit sa charge contre les archers elfes sylvains qui venaient de se rallier devant lui. Il évita toutes leurs flèches dont la plupart rebondirent sur son armure, et les percuta avec violence, les mettant hors d'état de nuire à lui tout seul à coups de fléau d'arme. Même si, pour eux, les agiles elfes allaient se montrer difficiles à toucher, son héroïsme plongea les lanciers dans une telle honte qu'ils se rallièrent autour de leur bannière et replongèrent dans la bataille.

Mais il était trop tard. Lorsque le soleil se coucha, tous les prix avaient été dérobés et emportés par les guerriers faucons soudainement apparus dans le ciel.

LE PELERINAGE PERILLEUX

La chanson de Challotte parle du périlleux pèlerinage vers Challotte, sans dire grand-chose sur la manière dont il se termina ni sur la mystérieuse vision qui poussa Agravain à chevaucher au secours des pèlerins. Blondel ajouta ensuite quelques vers à la vieille chanson bretonnienne dans sa propre ballade pour donner la signification des visions d’Agravain et parler de la chapelle du Graal perdue qu’il devait retrouver s’il voulait accomplir sa quête.

Le prix de l’honneur

Dès que la fanfare sonna la fin du tournoi, les princes elfiques se retirèrent rapidement, emportant avec eux leurs camarades blessés. Le duc apprit rapidement que le calice avait été volé, mais, le temps que les chevaliers et lui se fraient un chemin dans la foule des paysans, les elfes sylvains s’étaient envolés, laissant le châtelain dépité expliquer à son maître ce qui s’était passé.

Une poignée d’écuyers montés se lança sur les talons des elfes mais ils perdirent leurs traces lorsque la nuit tomba sur la campagne et ils reprirent, déçus, le chemin de Quenelles. Toute cette nuit-là, les auberges et les tavernes de la cité résonnèrent des discussions alcoolisées des paysans qui relataient les événements palpitants de la journée, et des serments lancés par de jeunes et impétueux chevaliers qui juraient de donner aux elfes une leçon pour leur trahison et leur manque d’honneur ! Le duc tint un banquet dans la grande salle du château de Quenelles, auquel assistèrent tous les meilleurs chevaliers. Naturellement le comportement indigne des elfes sylvains et ce qu’il fallait faire en réponse souleva un débat animé.

Quelques chevaliers, menés par Arnaud de Borron, poussaient le duc à lancer une action au cœur de la Forêt de Loren pour y récupérer le calice, mais le duc n’était pas seulement préoccupé par le calice.

"Je suis profondément choqué par la manière dont les Loréniens ont souillé le tournoi, et l’honneur impose qu’ils s’en amendent d’une manière ou d’une autre."

Ceci provoqua l’approbation de l’ensemble des chevaliers assemblés. Le duc demanda que l’on fasse des suggestions sur la compensation qui devrait être demandée. Plusieurs chevaliers crièrent des choses comme "une centaine de coursiers elfiques", "un millier d’acres de bonne terre cultivable" et "le droit de chasser dans la forêt".

Le duc prit le temps de considérer toutes ces suggestions, "Ce ne sont que des choses insignifiantes, personne n’a d’idée sur une compensation convenable ?"

Eléanor de Quenelles, Damoiselle du Graal de la célèbre chapelle du Quenelles, prit alors la parole : "Monseigneur, je vous prie de instamment de penser à la sainte chapelle de Challotte abandonnée en forêt de Loren. Elle n’est pas située trop profondément dans le royaume des fées mais le peuple elfes a toujours découragé nos pèlerins qui ne veulent pourtant s’y rendre que par pure piété ! Ce serait bon acte de pénitence pour le peuple d’Athel Loren que de placer le calice dans la chapelle qui doit être la sienne et de nous permettre d’aller en pèlerinage jusqu’à cet endroit sacré".

Ceci leva un brouhaha d’approbation de la part des chevaliers qui commencèrent à frapper les tables avec leurs gobelets. "Et s’ils osent refuser, nous irons quand même," cria l’impétueux Aloys de Montjois, provoquant encore plus de vacarme.

Le duc donna sa réponse. "Damoiselle Eléanor nous a montré la voie de la paix et de l’honneur ! Nous n’allons pas leur demander de nous rendre le calice, mais simplement le droit de le voir ! Les loréniens accepteront, j’en suis sûr. Damoiselle Eléanor, vous avez mon accord pour préparer un pèlerinage vers la sainte chapelle de Challotte, et vous bénéficierez de ma protection !"

La damoiselle de Challotte

Agravain n’était pas au banquet, et ses serviteurs, Blondel et Jasper étaient sans doute dans une taverne peu fréquentable. Le chevalier, profondément perturbé par le vol du calice, priait dans la chapelle du graal de Quenelles qui dominait la Brienne. Il y passa la nuit entière allongé, la tête sur son bouclier et cherchant l’inspiration pour sa quête. Il se leva très tôt, déçu qu’aucun de ses rêves n’ait pu le guider, et, pour se réveiller, descendit sur les berges du fleuve pour s’asperger le visage d’eau glacée.

Lorsqu’il s’agenouilla au bord du fleuve, des remous agitèrent les eaux juste à ses pieds. Stupéfait, il vit un petit bateau dériver lentement devant lui, sortant du brouillard pour y disparaître presque aussitôt. Une demoiselle de grande beauté, aux longues tresses rousses et vêtue d’une belle robe blanche, y était assise. Elle se tourna vers Agravain ; l’angoisse se lisait sur son doux visage. Ses yeux semblaient implorer de l’aide. Ses lèvres bougèrent, sans qu’aucun son ne s’en échappe, mais Agravain eut le sentiment d’y lire "Au secours !"

La vision s’en était allée. Agravain appela encore et encore dans le brouillard et descendit même jusqu’à avoir de l’eau à hauteur de poitrine, mais en vain. La demoiselle était partie, si elle n’avait jamais été là. Le chevalier était très troublé. C’était sans aucun doute un signe de la dame du lac, peut-être même de la Dame elle-même, mais où était le Graal ? La signification de cette étrange vision le laissa perplexe.

Le pèlerinage périlleux

Agravain resta un long moment agenouillé au bord du fleuve, plongé dans ses pensées. Plus tard, lorsqu’il retourna vers la chapelle du Graal, il y régnait une grande activité. Des damoiselles du Graal et leurs servantes préparaient un magnifique chariot bleu décoré de fleurs de lys. Une marée de pèlerins et de pieux chevaliers se rassemblaient pour partir en pèlerinage. Damoiselle Eléanor interpella Agravain qui était maintenant célèbre à Quenelles grâce à ses exploits sur le champ du tournoi. "Allez-vous vous joindre à nous dans notre pèlerinage ?"

Agravain, bien entendu, n'était pas au courant de cette entreprise périlleuse et folle, et il ne voulait pas se détourner de sa quête personnelle. Il répondit poliment qu'il devait d'abord remettre la main sur ses deux serviteurs.

Agravain parcourut les rues et ramassa Blondel dans un caniveau. Il le porta jusque derrière sa tente où Jasper préparait le repas de midi. "Blondel, je veux que tu me rechantes la complainte que tu as chantée au château de mon père, celle de la Damoiselle de Chalotte."

Blondel commonça à chanter. C'est une très longue ballade. Il chanta comment, il y avait bien longtemps, une belle damoiselle bretonnienne avait fait un voyage en bateau sur le fleuve Brienne, partant de la légendaire chapelle de Chalotte pour se rendre au tournoi de Quenelles. Il chanta l'embuscade dans laquelle son escorte était tombée, percée de flèches tirées par des ennemis dissimulés sur les berges du fleuve. Tous ses serviteurs furent tués et son bateau, d'une manière ou d'une autre, fut séparé du reste du convoi. Hélas ! Le bateau dériva, emporté par le courant et nul ne revit la damoiselle. Seul survivant, son ménestrel atteignit finalement Quenelles et composa la ballade puis, poussé par le chagrin, il se jeta du sommet de la plus haute tour de la cité.

Agravain réalisa soudain que sa propre quête était de ses joindre au pèlerinage vesr la chapelle perdue de Chalotte. "J'ai eu une vision de la Damoiselle de Challotte, ce matin, admit Agravain. " La Dame du Lac a fait appel à moi pour rechercher et secourir cette noble personne."

"Etes-vous fou ? S'exclama Blondel. "Elle a disparu il y a plusieurs siècles. Vous devez faire erreur."

Agravain était cependant en proie à une telle ferveur religieuse qu'il n'écoutait ni la raison ni le bon sens. "Les desseins de la Dame du Lac nous sont bien mystérieux, mon ami."

Faisant aussi vite qu'ils le purent, les compagnons d'Agravain levèrent le camp et aidèrent leur maître à endosser son armure. Lorsqu'il arrivèrent à la chapelle du Graal de Quenelles, les pèlerins n'y était déjà plus !

Des yeux dans la forêt

Les pèlerins chantèrent avec plus de ferveur lorsqu'ils passèrent les pierres levées marquent les frontières de Loren. Ils traversèrent sans problèmes les landes balayées par les vents, mais ils étaient déjà surveillés. Yolath, un mage elfique approcha de la colonne dès qu'elle pénétra dans la forêt. "Que faites-vous ici ?" demanda-t-il en bretonnien.

"Nous cherchons la sainte chapelle de Chalotte." Répondit Aloys de Montjoir.

"Vous allez entrer dans les bois de mon clan, je vous demande de faire demi-tour !"

"Votre clan nous a offensés au tournoi de Quenelles, nous ne réclamons que cette mince réparation. Laissez-vous faire ce pèlerinage pacifique ! Répondit Aloys avec arrogance.

"Je vois beaucoup de gens armés parmi ces pèlerins pacifiques, dit Yotlath avec l'ironie typique des elfes. "Vous ne savez pas les risques que vous prenez. Je vous le répète, faites demi-tour !"

Aloys l'écarta du bras et la colonne se remit en marche.

C'était le début de l'hiver en Loren et tous les arbres se dénudaient de leurs feuilles. Le Roi et la Reine des Bois reposaient déjà au sein du Chêne des Ages, attendant de renaître avec le printemps. Prviés des sages conseils d'Ariel, les mages des clans parvinrent à retenir leurs guerriers, mais il ne purent empêcher la forêt de se défendre elle-même. Les pierres levées avaient été franchies et les esprits dérangés ! Des silhouettes fantomatiques commencèrent à se rapprocher des pèlerins condamnés.

Résultat historique

La chanson ne dit pas grand-chose du pèlerinage sinon qu'il tomba dans une embuscade dans la Forêt de Loren et que, grâce à un miracle de la Dame du Lac, les pèlerins échappèrent à une destruction certaine. En lisant entre les lignes qui vantent les vertus d'Aloys de Montjoie et les prouesse d'Eléanor de Quenelles, on peut supposer que ce qui s'est passé ce soir d'hiver dans les profondeurs de la forêt, est à peu près ce qui suit.

Suivant la route depuis longtemps oubliée qui menait à Challotte, les pèlerins bretonniens arrivèrent à un croisement, le chemin se séparant en deux pour contourner un maris sur ses deux berges. Ils marquèrent une pause le temps de se décider du chemin à prendre sans réaliser que les elfes sylvains avaient choisi cet endroit pour leur tendre une embuscade ! Les pèlerins étaient sur le point de pénétrer dans le bois de Gwercus où vivaient un terrible homme arbre et ses dryades qui, d'après ce que l'on raconte, étaient les gardiens des bois sacrés du Clan des Saules.

Nous pouvons deviner que des dryades, menées par Gwercus en personne, émergèrent de la dense forêt sur le flanc de la colonne bretonniennne alors que d'autres barraient la route et qu'une pluie de flèches s'abattait, tirées par une multitude d'archers dissimulés dans les bois. Aloys de Montjoie envoya le chariot en avant par la route la plus directe possible, pendant qu'il constituait une arrière-garde avec les chevaliers et les écuyers montés. De nombreux écuyers à pied courraient en avant et à côté du chariot, ils tombèrent sous les volées de flèches des éclaireurs elfes sylvains. Ceci laissa le chariot isolé, tiré par des pèlerins chantants et comme indifférents au danger !

La chanson nous éclaire un peu sur le rôle joué par Eléanor de Quenelles dans la bataille. Il semblerait que Lyr le Mage apparut entre les arbres, lançant l'un après l'autre des sorts qui entamèrent à peine la détermination des chevaliers mais firent cependant perdre leur sang-froid aux hommes d'armes derrière eux. Eléanor de Quenelles éperonna son destrier, demanda à la Dame du Lac d'inspirer les chevaliers et repoussa tous les sortilèges lancés contre eux. Au son de son nom béni, le terrible homme arbre s'immobilisa sur place comme si des mains gigantesques le retenaient, et tout un groupe de ses dryades s'enflamma spontanément.

Les dryades interceptèrent les chevaliers et les écuyers montés avant qu'ils ne chargent, mais tous tinrent vaillamment leur position, prenant même finalement le dessus. Pendant ce temps, voyant que le chariot progressait toujours vers le bois sacré, les danseurs de guerre l'attaquèrent pour être repoussés par une force magique dépassant leur entendement. La vue d'Eléanor défiant à elle seule l'ennemi redonna du courage aux hommes d'armes du châtelain de Quenelles qui se rallièrent autour de leur bannière un peu plus loin sur le chemin.

Il fallut probablement qu'Eléanor fasse appel à toute sa volonté et à toutes ses forces pour contenir un Gwercus qui se débattait pour se délivrer du sortilège et faire enfin s'abattre sa fureur vengeresse sur les chevaliers englués dans un combat à mort contre les dryades. Nous savons que les vaillants écuyers montés tombèrent avec honneur en protégeant les arrières de leurs maîtres contre ces créatures folles furieuses. Comme le dit la chanson, "nuls chevaliers n'eurent serviteurs plus valeureux !" Un groupe de forestiers qui s'était glissé sur l'autre côté du chemin, surgit hors des bois derrière les bretonniens et prit pour cible Eléanor de Quenelles. Elle fut percées par deux flèches et c'est un vrai miracle si elle ne succombe pas. Elle brisa les flèches d'un geste de défi, déterminée à ce que rien au monde ne brise sa mainmise sur l'homme arbre. Les hommes d'armes se ruèrent pour l'entourer d'un mur de leurs boucliers.

L’obscurité tombant, les choses semblaient bien mal engagées pour les bretonniens fatigués et ensanglantés. La colonne de pèlerins était dispersé, des écuyers tués gisaient le long du chemin, les chevaliers étaient éparpillés entre les arbres, lancés à la poursuite des insaisissables dryades, et le chariot était tout simplement introuvable. En fait, il était complètement isolé de son escorte et aurait fait une proie facile si l'ennemi y avait mis la main dessus.

Les elfes sylvains se regroupèrent dans les bois pour lancer un dernier assaut. Pour compliquer les choses, Eléanor avait de plus en plus de mal à maintenir son emprise Gwercus, laissant finalement l'homme arbre se lancer en avant, hurlant de fureur et de triomphe !

C'est alors que se produisit le miracle de ce pèlerinage. Gwercus laissa soudain échapper un cri déchirant de désespoir. Tous les elfes sylvains dissimulés aux alentours l'entendirent et les bretonniens, le prenant pour un cri de guerre, firent leurs dernières prières et s'attendirent à ce qu'ils croyaient être une mort certaine. Cependant, la plainte devint de plus en plus lointaine et Gwercus lui-même sembla s'être évanoui dans la nature, du moins n'était-il plus différentiable des autres troncs noueux de la forêt. Stupéfaits, les bretonniens tombèrent à genoux et rendirent grâce à la Dame du Lac pour cette délivrance inattendue.

LA BATAILLE DE L'ARBRE AUX ECUS

La dernière partie de la chanson de Chalotte raconte comment, inspiré par la vision de la Damoiselle de Chalotte, Agravain regroupa les pèlerins éparpillés. Avec le chevalier à leur tête, les Bretonniens marchèrent vers la sainte chapelle de Chalotte, défiant les elfes sylvains qui leur barraient la route. La Bataille finale fut livrée aux pieds de l’immense Arbre aux Ecus sur lequel sont accrochés les boucliers de tous les paladins qui ne sont jamais revenus.

La quête d’Agravain

Agravain ne fut pas le seul à arriver en retard à la chapelle du Graal de Quenelles pour se joindre au pèlerinage. De nombreux autres chevaliers des environs s’étaient dirigés vers la cité pour participer à la sainte entreprise. Ils avaient l’intention de chevaucher pour rattraper les pèlerins dès le jour suivant. Se trouvaient parmi eux des paladins qui croyaient que le pèlerinage allait les rapprocher du Graal, ainsi que des chevaliers errant désireux de prouver leur valeur en surmontant les innombrables périls qu’une telle entreprise était susceptible de croiser. Lorqu’Agravain annonça qu’une vision lui avait inspiré de suivre le pèlerinage, les autres chevaliers le désignèrent à l’unanimité comme leur chef. A l’aube du jour suivant, ils se mirent en route sur le chemin boueux qui menait à la Forêt de Loren.

Les forestiers virent ce nouveau contingent pénétrer dans la forêt et firent leur rapport au conseil des Mages. Pendant que les elfes sylvains décidaient de ce qu’ils allaient faire, Agravain et ses hommes tombèrent sur les débris de la colonne des pèlerins éparpillés au fil des clairières. Les survivants se rassemblèrent rapidement autour des chevaliers qui étaient maintenant très en colère en constatant que ce pèlerinage pacifique avait été l’objet d’une attaque si sournoise.

Agravain et les chevaliers les plus expérimentés organisèrent les restes du pèlerinage en une colonne convenable et capable de se défendre elle-même en territoire ennemi. Le pèlerinage prit alors un aspect nettement plus guerrier, chevaliers et soldats y dépassant en nombre les autres pèlerins. Rien n’était plus susceptible de pousser les elfes sylvains à défendre leurs bois. Quant à Agravain, il était non seulement poussé par un chevaleresque désir de défendre les pèlerins comme tout autre chevaliers, mais aussi par son désir secret d’accomplir sa quête. Il était convaincu qu’il ne pourrait le faire qu’une secourant la Damoiselle de Challotte, où qu’elle se trouve.

Conseil de Guerre

Alors que les Bretonniens s’enfonçaient toujours plus profondément dans la forêt, le clan des Saules tint un conseil de guerre en sa clairière sacrée. Le débat se prolongea tard dans la nuit.

"Qu'as-tu fait Athelwyn ?" demanda Yolath le mage en pointant un doigt sur le fier et jeune prince elfique. "Pourquoi as-tu levé les Bretonniens contre nous ?"

Tous les anciens du clan rassemblés au conseil se tournèrent vers Athelwyn, attendant qu’il se justifie.

"Je n’ai voulu que rendre à notre clan ce qui lui appartient", répondit-il.  " Ces trésors sont indignes de leurs jeux d’enfants !"

Le mage regarda le jeune prince dans les yeux. "Tu as pourtant participé à leurs jeux d’enfants et tu as commis l’erreur d’en briser les règles ! Ce n’est pas ainsi qu’agissent les elfes, Athelwyn !"

Ce dernier baissa la tête sous la volée de reproches, mais il ne dévoila pas que certains des mages les plus jeunes avaient été séduits par son astucieuse action. Sa fierté était cependant atteinte. Les autres princes qui s’étaient eux aussi rendus à Quenelles étaient des nobles des ce clans voisins. Nul doute qu’ils auraient eux aussi à affronter la colère de leurs anciens. En fait ces jeunes princes étaient en lutte contre l’autorité de leurs anciens, les rituels sans âge agaçaient les elfes les plus jeunes et les tentations d’explorer le monde extérieur excitaient leurs esprits intrépides.

"Je vais rendre le calice."

"C’est trop tard, le calice ne leur suffira pas. Il faut le leur rendre de toute façon, tu peux essayer de les calmer, mais tu verras qu’il leur faudra maintenant quelque chose de plus, quelque chose qu’il nous est impossible de leur donner !"

"Tu leur as parlé, que veulent-ils vraiment ?" demanda le mage Idryth qui avait appuyé en secret l’action d’Athelwyn.

"La destruction de notre bosquet sacré sur l’île sainte !" répondit Yolath

L’assemblée des elfes était abasourdie. Le bosquet était là depuis tant de générations. Pourquoi les Bretonniens demandaient-ils une chose aussi terrible ? Yolath le savait. Il raconta au conseil que jadis, un sanctuaire bretonnien était bâti sur cette île. Mais il avait été abandonné et, au fil du temps, la forêt avait repris ses droits sur les ruines désertées. Lorsque le Clan des Saules trouva le bosquet d’arbres gigantesques qui avait poussé sur l’île, il s’y installa. Depuis lors le clan avait chanté pour les arbres, comme tous les autres clans le faisaient, et les arbres avaient poussé denses et hauts.

"Les Bretonniens veulent maintenant revenir en ces lieux," continua Yolath.  "Et avec eux, reviendront la peste et les guerres, le bruit des haches et le feu, le fer, les charrues et la chasse !"

Le conseil explosa alors de colère, Athelwyn fut pris de terribles remords.

"Que pouvons-nous faire, Yolath ?" demanda-t-il d’une voix qui n’était plus qu’un souffle.

"Il ne nous reste que deux possibilités. Le clan peut abandonner l’île sacrée et émigrer plus profondément dans la forêt, ou rester et se défendre !"

Le débat fut très bref parmi les sages. Aucun n’était pour une migration.

Oltweth l’ancien dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas. "Notre bosquet sacré est un endroit unique, nulle part ailleurs les saules ne poussent si bien et si gros. Je dis donc que nous devons défendre la clairière !"

Elthryn demanda alors, "Se pourrait-il qu’il s’y trouve quelque chose que les Bretonniens recherchent ? Nombre de leurs chevaliers y sont venus et ceux qui n’ont pas été repoussées par la peur ont dû être combattus. Maintenant qu’ils viennent en aussi grand nombre, peut-être devrions nous les laisser faire et prendre ce qu’ils veulent."

Yolath dans sa grande sagesse, reprit alors la parole. "J’ai peur de ce qui est caché dans les ruines ne soit profondément enfoui sous les racines de nos arbres sacrés. Les Bretonniens devront les couper pour s’approprier ce qui se trouve là."

Athelwyn savait qu’il ne pouvait laisser faire cela. "Ils ne toucheront pas à un seul arbre tant que je serai vivant !"

Tous les guerriers présents jurèrent alors de défendre le bois aux côtés d’Athelwyn et on envoya des messages aux autres clans pour qu’ils viennent à l’aide.

Le rêve d’Agravain

Pendent ce temps, les Bretonniens se reposaient pour la nuit non loin des bois sacrés. Agravain avait posté des écuyers en sentinelles autour du camp, les chevaliers regroupés autour des feux affûtaient leurs épées et graissaient leurs armures alors que leurs serviteurs faisaient griller des cuisses de grenouilles et des serpents qu’ils accommodaient avec de l’ail sauvage ramassé dans la forêt.

Cette nuit-là Agravain eut encore un songe. Il vit la même damoiselle dérivant seule sur son bateau au gré des courants. Son expression de désespoir avait laissé place à un regard résigné. Elle sortit un calice resplendissant d’un coffret et le jeta dans les eaux. Elle enleva ensuite ses bagues et tous ses bijoux qu’elle envoya aussi vers les sombres profondeurs. Enfin, elle prit une fiole qu’elle porta à ses lèvres pour en boire le contenu, se coucha au fond du bateau et ferma les yeux. Le bateau disparut dans la brume.

Agravain vit à nouveau le bateau, emprisonné dans les racines d’un saule. Il vit les elfes sylvains approcher sans bruit de toutes parts, soulever le corps de la damoiselle et l’envelopper d’un manteau de feuilles. Ils l’emportèrent ensuite sur la berge, entre les arbres et les herbes hautes, jusqu’à la crypte de la chapelle bâtie au milieu de l’île. Ils l’allongèrent sur un tapis de fleurs de lys, prirent des branches de saules et les tissèrent en croisillons qu’ils mirent en travers de la porte et de la moindre fenêtre de la chapelle. Ils firent tant et si bien que bientôt, nul vestige de la chapelle ne fut visible.

Agravain se réveilla désorienté. Le sort de la Damoiselle de Challotte n’avait été révélé qu’à lui seul, mais il restait cependant une dernière question. La damoiselle avait-elle avalé du poison dans un dernier acte de défi envers ses ennemis ? Pourquoi les elfes sylvains avaient-ils fait autant d’efforts pour l’emprisonner à jamais ? Peut-être n’était-elle pas vraiment mort, peut-être n’était-elle qu’endormie. La potion n’avait peut-être contenu qu’un sortilège pour abuser les elfes sylvains. Agravain pensa alors à tous les Paladins attirés dans cette forêt depuis des siècles. Des chevaliers qui avaient eu la même vision que lui mais qui avaient échoué dans les quête et disparu à jamais. Nombre d’entre eux avaient dû s’égarer par la faute de la reine magicienne des elfes sylvains ou des perfides dryades qui rôdaient entre les arbres. Leurs boucliers étaient maintenant accrochés à l’Arbre aux écus. Il était certain qu’un seul chevalier était destiné à trouver la Damoiselle de Challotte pour briser l’enchantement et la réveiller d’un sommeil qui dirait depuis un millier d’années. La Dame du Lac avait conduit Agravain jusque-là et l’honneur réclamait qu’elle ne fût pas déçue.

L’arbre aux écus

Les Bretonniens débouchèrent dans une large clairière plantée de saules. Le sol était marqué des sillons tracés jadis par les charrues des paysans. Les champs, maintenant abandonnés, étaient couverts d’herbes folles et de ronces. Ils se trouvaient à l’entrée du village de Challotte, oublié depuis une éternité. Séparé de la clairière pas un sombre marais percé de roseaux, un îlot était dominé par des saules d’un âge incalculable. Au milieu de l’île, un tumulus servait de piédestal à un vieux saule tordu dont les racines emprisonnaient des restes de maçonnerie. Ce tumulus, couvert de lierre et de mousse, était tout ce qu’il restait de la vénérable chapelle du Graal de Challotte.

Quelque chose séparait cependant les Bretonniens du l’objectif de leur pèlerinage. Les guerriers du Clan des Saules étaient alignés en un parfait ordre de bataille sur les berges de l’île, les Bretonniens qui étaient maintenant en vue de la chapelle de Challotte n’allaient certainement pas faire demi-tour. Agravain et deux autres chevaliers avancèrent pour parlementer avec l’ennemi, come il était de coutume chez les Bretonniens. "Nul besoin de verser le sang," déclara Agravain, "Nous ne demandons que votre permission de restaurer notre chapelle en ruines et d’autoriser les pèlerins à y venir de temps à autre, et ceci en compensation de l’insulte faite à notre honneur au tournoi de Quenelles. Quelle est votre réponse ?"

Athelwyn qui connaissait quelques mots de Bretonniens chevaucha lui aussi en avant pour donner la réponse de son clan. "La chapelle dont vous parlez n’existe plus depuis longtemps. Les arbres sacrés de notre clan poussent maintenant à cet endroit ! Nous n’admettrons pas qu’ils soient abattus par vos haches. Prenez le calice, quittez cet endroit et ne nous dérangez plus avec vos superstitions ou nous accrocherons vos boucliers à l’arbre avec ceux qui y sont déjà !" Athelwyn lança alors le calice qui retomba à mi-chemin entre les deux armées, et des centaines d’yeux le virent disparaître dans le marais entre les roseaux.

Agravain et ses compagnons levèrent les yeux vers les branches tordues de l’arbre et y virent plusieurs vieux boucliers abîmés. Tous reconnurent sur eux les symboles de la quête. La colère serra le cœur d’Agravain lorsqu’il vit les fiers blasons réduits à l’état de quelconques trophées pour le peuple des fées dans le seul but de ternir l’honneur de la Bretonnie ! Furieux, il interpella Athelwyn par-dessus les eaux.  "Alors, la Dame du Lac décidera de notre destinée." Et il galopa pour reprendre sa place au milieu de l’armée.

Les forces bretonniennes avancèrent vers les positions des elfes sylvains, le contingent des hommes d’armes du faubourg de Mayonne entonne son chant de guerre intitulé la Mayonnaise. Au signal d’Agravain, les chevaliers tirèrent leurs épées. La bataille commençait.

Résultat historique

Cela ne surprendre personne, la Chanson de Challotte fait une description très vivante de la Bataille de l'Arbre aux Ecus, vien que vue du côté des bretonniens seulement, puisque Blondel, auteur de la ballade, participa directement aux combats !

Athelwyn, accompagné par les princes elfiques qui avaient survécu au tournoi, fut rejoint par les chevaliers sylvains du clan Equis accourus à l'aide. Ils étaient idéalement placés pour lancer un assaut surprise sur le flanc des bretonniens.

Agravains devina que les elfes allaient tenter de déborder son armée par les flancs, il donna donc aux chevaliers du Graal sous les ordres d'Aloys de Montjoie l'honneur de se placer sur le flanc droit. Ils s'y déployèrent en fer de lance, les chevaliers errants tout près d'eux. Agravain espérait que l'impétuosité des jeunes chevaliers les jetterait en avant et provoquerait les elfes afin qu'ils dévoilent leurs intentions sur ce flanc. Les chevaliers du Graal seraient alors très bien placés pour frapper leurs agresseurs de côté. Les écuyers des chevaliers qui avaient chevauché avec Agravain, dont Blondel et jules, étaient déployés à l'extrémité du flanc gauche, leur mission était de contrôler l'étendue broussailleuse située à l'orée de la clairière.

Au centre, les paladins et Agravain, accompagnés par plusieurs chevaliers rescapés du tournoi de Quenelles, escortaient Damoiselle Eléanor. Ils étaient groupés face au marais dans le but de s'emparer de l'île de Challotte. Sur la gauche se tenaient les hommes d'armes du faubourg de Mayonne dont le nombre avait été réduit par les combats précédents, ainsi que le chariot du reliquaire.

Les flèches tirées à partir des bois commencèrent à pleuvoir sur les chevalier qui se rapprochaient de l'île recouverte d'une étrange brume. Dissimulé au milieu des arbres, Lyr le Mystérieux portant deux objets magiques dérobés lors du tournoi. Il jeta les glands, mais probablement à cause de leur grand age, ils ne donnèrent qu'une seule dryade. Il planta le Vieux Bâton et fut rejeté en arrière lorsqu'il se mit à pousser pour devenir Guath, un homme arbre d'une taille pour le moins inquiétante, qui lança un hurlement qui résonna à travers toute la clairière.

Les paladins, suivis de près par Agravain et ses hommes, traversèrent le marais. Sur la gauche, les écuyers avaient débusqué quelques danseurs de guerre et sautaient de ci de là en pleine confusion, tentant de les frapper de leurs lances à ours alors que les elfes esquivaient et s'éparpillaient entre les chevaux. Athelwyn, à la tête des chevaliers sylvains, sortit à découvert et chargea dans l'espoir de prendre les bretonniens de flanc pendant qu'ils traversaient le cours d'eau. Les chevaliers Errants pivotèrent sans attendre pour faire face, mais se trouvèrent nez à nez avec le féroce Guath. Une autre mêlée confuse et indécise s'engagea, les chevaliers étant incapables de blesser Guath alors qu'eux-mêmes se protégeaient des coups de l'homme arbre.

Apercevant Athelwyn, son ennemi personnel et cause tous ses malheurs à la tête des princes elfiques, Aloys de Montjoie ne put retenir sa colère et, éperonnant son destrier, il conduisit les Chevaliers du Graal dans une terrible charge. Se retrouvant face à Athelwyn lui-même, il le jeta à bas de sa monture de deux redoutables coups de sa large épée. Les elfes sylvains qui virent tomber leur chef furent passablement ébranlés et amorcèrent un mouvement de repli pour repasser le maris. D'autres réagirent avec colère et un désir de vengeance. Les chevaliers du Graal furent soudain assailis de toutes parts, notamment par Yolath qui sembla tomber du ciel. Deux des compagnons d'Athelwyn, Aelfrye et Ulthryn, s'en prirent à Aloys de Montjoie et furent bientôt rejoints par les chevaliers sylvains. Totalement encerclé, Aloys les affronta bravement jusqu'à ce qu'il s'écroule, mortellement blessé.

Les paladins avaient chargé à travers le marais et étaient maintenant engagés contre les gardes sylvains, Agravain et les chevaliers qui l'accompagnaient émergèrent du brouillard. Agravain se retrouva alors sur l'île où s'élevait le tumulus de ses rêves, mais un héros elfe sylvain, Gyferth, se tenait devant lui et il l'affronta en combat singulier. Le prince elfique ne manquait pas de bravoure ni de talent mais il était condamné et il succomba finalement sous les coups d'Agravain. Les autres elfes sylvains qui défendaient le tumulus furent poursuivis entre les saules et massacrés.

Le soleil se coucha sur un triste spectacle. Le clan des Saules avait été défait et Agravain et les paladins avaient pris possession de l'ïle. Des cadavres elfes gisaient comme des feuilles mortes tout autour de l'Arbre aux écus. La bataille avait prélevé un lourd tribut. Les chevaliers du Graal étaient tous tombés autour d'Aloys de Montjoie, leurs corps étaient mélangés à ceux des princes elfiques. C'est alors qu'Agravain remarqua l'étrange flèche d'argent emmêlée dans la tresse de Mélissande qu'il portait autour de sa lance. Elle avait pourtant été tirée avec adresse par Yolath et aurait scellé le destin d'Agravain s'il n'avait été protégé par les faveurs de cette noble et bienveillante damoiselle. Yolath, qui ne voyait pas l'utilité de périr en combattant un ennemi invincible, profita de l'obscurité pour quitter le champ de bataille, entraînant avec lui ce qu'il restait du clan des Saules.

La Chanson de Challotte se poursuit en décrivant les suites de la bataille. Les bretonniens passèrent toute la nuit à rechercher leurs camarades tués, à soigner leurs blessures et à se reposer, épuisés qu'ils étaient par ces terribles combats. Le jour suivant, ils étaient tous rassemblés sur l'île de Challotte où Eléanor et les Damoiselles du Graal présidaient à la bénédiction des morts. Les bretonniens furent enterrés autour de la chapelle du Graal pour laquelle ils étaient tombés. Tous les survivants furent tellement émus par un tel sens de l'honneur qu'ils s'agenouillèrent et adressèrent une prière de remerciement à la Dame du Lac. Les boucliers profanés furent ensuite décrochés de l'arbre, une corde fut passée autour de son énorme tronc puis accrochée à de puissants destriers. L'immense arbre bascula lentement, découvrant le tumulus magique et révélant les pierres sculptées de l'ancienne chapelle du Graal.

Agravain et Eléanor de Quenelles, accompagnés par quelques autres chevaliers, entrèrent dans la crypte en ruines et tombèrent à genoux devant ce qu'ils y virent. Debout devant eux, se tenait la silhouette floue d'une dame d'une incomparable beauté, qui ressemblait trait pour trait à celle qu'Agravain avait vue en songe. Elle lui tendit un calice semblable à celui du tournoi de Quenelles, même si celui-ci semblait étrangement irréel. Une vapeur d'un autre monde s'en échappait et Agravain y trempa les lèvres, puis l'image de la damoiselle s'évanouit peu à peu jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Le crypte était vide et nulle trace n'était visible sur la mousse qui recouvrait le sol de mosaïque représentant des fleurs de lys. Agravain se sentit renaître, comme béni. Il se tourna vers Eléanor toujours agenouillée près de lui et celle-ci se tourna vers Eléanor toujours agenouillée près de lui et celle-ci se tourna également vers lui. Il s'aperçut alors qu'elle était l'image viante de la Damoiselle de Challotte ! Comment n'avait-il pu le remarquer plus tôt ? N'avait-il pas vu ce visage dans ses rêves ? Par quelle magie cela était-il possible ?

Depuis ce jour, Eléanor de Challotte est la gardienne de la chapelle du Graal restaurée, venant en aide à tous ceux qui entreprennent le périlleux pèlerinage jusqu'à ce sanctuaire. Perdue en plein cœur de la forêt, elle n'est protégée que par son seul serviteur, Agravain de Beau Geste, chevalier du Graal de la chapelle de Challotte. C'est du moins ce que dit le tout dernier complet de la Chanson de Challotte, interprétée dans toutes les cours de Bretonnie par Blondel le troubadour.