L'INVASION D'YVRESSE

ou Grom la Panse en Ulthuan
2425 CI

LA HE V4-5 p76 et suivantes
Citadel Journal 35 p.16 et suivantes
La bataille de Maugthrond (boite de base WFB4)

Après avoir inexplicablement réussi à traverser le Grand Océan, les Gobelins de Grom arrivent jusqu'à Tor Yvresse où ils manquent bien déstabiliser le vortex d'Ulthuan !

Pour jouer la campagne du Citadel Journal 35 : voici le document.

Venus de l'est, portés par la tempête, les gobelins arrivèrent. Ils parcouraient les vagues sur une vaste flotte de vaisseaux rudimentaires, transportant des milliers de cruels guerriers à la peau verte. Ils prirent pied sur la grève, leurs navires battus par le vent, leurs voiles en lambeaux. Plus de la moitié de la horde grouillante avait péri en mer, terrassée par le scorbut, dévorée par les krakens, leurs vaisseaux disloqués sur les récifs de la Mer de la Terreur et leurs esprits ravagés par les illusions autour des Îles Mouvantes. Plus de la moitié avaient disparu, mais ils étaient encore innombrables. Deux fois dix mille vivaient encore et leurs yeux brillaient d'une lueur maléfique.Grom était leur chef : adipeux, puissant, cruel et rusé. A sa suite, la horde avait tracé une route de carnage depuis le cœur de silex des Montagnes du Bord du Monde, à travers les marches de l'Empire jusqu'aux rivages de la Mer des Griffes. Elle avait brûlé de nombreux châteaux humains, pillé de nombreuses tombes de rois nains. Elle avait mis des armées en déroute et massacré d'innombrables soldats. Grom aurait pu se bâtir un empire dans le Vieux Monde. Il aurait pu balayer les royaumes des hommes et élever un domaine sur leurs ruines. Il choisit de ne pas le faire, car il avait eu une vision. Ses dieux lui avaient parlé et prédit qu'il serait le fléau des elfes.
Grom était la voix de la Waaagh. Touché par les dieux, il était la vivante incarnation de l'esprit de conquête de sa race. Debout sur ce rivage maudit, il avait promis à sa horde de nouvelles terres à conquérir, de nouveaux ennemis à tuer et de nouveaux trésors à piller. Grom avait parlé et la horde l’avait écouté car il parlait avec les mots que les dieux avaient insinués dans leurs noirs esprits.
Ils avaient bâti d'immenses carcasses flottantes et avaient pris la mer. Les courants les avaient portés loin dans l'Océan Occidental jusqu’à ce que la tempête les prenne dans sa poigne de fer. Comme la main d'un dieu mauvais, elle les avait jetés sur les rivages d'Ulthuan. La mer en furie avait bloqué les vaisseaux elfes au port et les gardes maritimes d'Ulthuan ne savaient rien de l'invasion. Les vents violents avaient dispersé les brumes magiques qui protégeaient habituellement les rivages de l'est, comme si un noir dessein voulait que le fléau s'abatte sur les elfes.


Grom

Les vaisseaux accostèrent à Cairn Lotherl, dans le royaume que les elfes appelaient Yvresse, Grom fit descendre ses troupes et ordonna de brûler les bateaux. Quarante jours de mer avaient sérieusement éprouvé sa patience et il avait juré de ne plus remettre les pieds sur un bateau.
Au son d’immenses tambours, la horde se mit en marche en direction du sud, brûlant tout sur son passage. Elle fondit sur les avants-postes isolés comme une colonne de fourmis. Dans le village de Kaselorne, un elfe mourant révéla l'existence de Tor Yvresse, jurant que le gouverneur de la cité mettrait un terme à tout cela. Grom rit et annonça qu'il mangerait le cœur du gouverneur. Les dires des elfes sur une puissante cité pleine de guerriers en cottes de mailles d'argent excitaient le cœur de Grom et il sut que c’était l’endroit qu'il devait conquérir. Elle serait la capitale de son nouveau royaume.
Des rumeurs de la horde atteignirent le château de Moranion, seigneur d'Athel Tamarha. Le vieux seigneur était profondément perturbé par ces nouvelles. Son fils aîné, ainsi que la plupart de ses gens étaient loin dans les terres du nord, combattant les elfes noirs. Son plus jeune fils, Argalen, était à Tor Yvresse, étudiant la magie sous la tutelle du gouverneur. Le cœur du vieil elfe était déjà lourd, car des nouvelles du nord venaient d'arriver : Eltharion, son fils aîné était au seuil de la mort, touché près du cœur par la lame empoisonnée d'un sorcier elfe noir. Il dépêcha au gouverneur des oiseaux messagers, avec des nouvelles de la horde, puis il envoya ses derniers hommes ralentir les gobelins.
Le commando rencontra l'avant-garde de l'armée de Grom au gué de Peledor. Ils prirent position et arrosèrent de flèches les gobelins qui essayaient de traverser. Les gobelins subirent de lourdes pertes et les cris de provocation des elfes les rendaient fous. Cependant, ce vieux renard de Grom, qui avait saisi la situation, avait envoyé un groupe de guerriers en amont avec l'ordre de traverser à la nage et de prendre les elfes par le flanc. Les elfes furent repoussés.
Fidèle à son serment de ne plus mettre les pieds sur un bateau. Il ne voulait pas traverser la rivière sur un des radeaux de fortune, construits à la hâte. Au lieu de cela, il envoya ses gardes personnels dans la rivière, leurs boucliers au-dessus de leurs têtes, et traversa le Peledor sur un pont de bouclier. Seuls trois de ses gardes moururent en essayant de supporter son énorme poids.
Sur l'autre rive les gobelins découvrirent un monolithe géant, une des pierres gardiennes des elfes. Le chamane de Grom, Dents Noires, examina le menhir orné de runes et reconnut en lui le point de passage d'un pouvoir phénoménal. Les dieux noirs lui sourirent et il réussit à contacter ce pouvoir. La puissance afflua en lui et il s'envola dans la nuit, sur sa vouivre, Serpent de Mort.
Le jour suivant, l'armée arriva au fort d'Athel Tamarha. En voyant l'immense palais forteresse, Grom décida que cela devait être Tor Yvresse. Il resta un moment interdit, la beauté le confondait. Comme beaucoup d'antiques structures elfes, le fort semblait avoir poussé sur le roc, les tours de pierres s'élevaient comme des troncs pétrifiés. D'antiques bas-reliefs presque effacés étaient sculptés sur les murs. Des statues gardiennes veillaient au-dessus des douves. Scrutant la chaussée de basalte en contrebas de leurs regards aveugles.
De sa tour, Moranion regardait cette mer de faces vertes et savait qu'il était condamné. Les rapports des éclaireurs ne l'avaient pas préparé à la taille démentielle de l'armée en marche. Elle couvrait tous les alentours et s'écoulait à travers la plaine, comme une marée verte, en direction de la maison de ses ancêtres. A sa pointe, il vit la forme massive de Grom, engoncé dans son char. Au-dessus, une Wyvern prenait les courants ascendants, un chamane sur son dos. Le sort d'illusion qui protégeait Athel Tamarha s'était évanoui l'après-midi précédent. En regardant le chamane gobelin, le vieux seigneur elfe comprit pourquoi. Une nimbe de pouvoir, plus brillante qu'un éclair et plus terrible qu'un dragon affamé, scintillait autour de lui.
Il ne sait pas ce qu'il fait, pensa Moranion, avec horreur. Un tel niveau de pouvoir finirait certainement par consumer le chamane comme une brindille dans le feu, mais pas avant qu'il n'ait pu infliger de terribles ravages. Le chamane avait volontairement absorbé le pouvoir que les elfes utilisaient pour maintenir leur pays émergé. Les pierres gardiennes étaient les pivots des sortilèges qui tenaient le pouvoir du Chaos en respect : des sorts si vastes et si complexes qu'aucun mage ne pouvait à lui seul espérer les comprendre ou les recréer. Sauf en cas d'extrême urgence, aucun mage elfe n'oserait y toucher car qui savait ce qui risquait d'arriver si l'équilibre était modifié même légèrement ? Il y avait là une menace pour la totalité d'Ulthuan et non pas juste pour Athel Tamarha.
Avec un puissant rugissement les gobelins se ruèrent à l'attaque sur la chaussée en basalte. La wyvern piqua. De la main de son cavalier s'échappa un éclair gigantesque. Une odeur d'ozone emplit l'air et les portes d'Athel Tamarha volèrent en milliers d'éclats. Moranion savait qu'il n'avait aucune chance d'en réchapper. Sa maison n'avait que peu de guerriers et la plupart étaient des vieillards ou des jeunes garçons inexpérimentés. Ils ne pourraient pas tenir la porte face aux gobelins.
Grom engagea son char sur la chaussée, tranchant tout ce qui se trouvait sur son chemin. Il arriva au milieu de la cour centrale où le retrouva Moranion. Le vieil elfe était vêtu de mailles blanches et d'une cape en peau de loup blanc. Dans sa main se trouvait son épée runique, Fangsword. Moranion lança son défi. Grom descendit de son char et traversa la mêlée. Se servant de sa hache pour bloquer l'épée de l'elfe, il le terrassa d'un coup de poing. Il se dressa et cria des encouragements à ses gars, le seigneur elfe inconscient sur son épaule.
Rapidement la bataille fut terminée. Triomphants, les gobelins parcouraient les salles de l'antique palais, s'enroulant dans les tapisseries et gambadant à travers les salles, lacérant des tableaux inestimables et brisant les bras de statues exquises. Des rires idiots raisonnaient sous les voûtes. A la lueur d’un feu de parchemins enluminés à la main, ils sirotaient de la liqueur de rêve dans des bouteilles plus vieilles que bien des royaumes humains et se goinfraient des fruits de vergers luxuriants.


Dents NoiresÀ son grand regret, Moranion revint à lui dans son grand hall. Grom était assis sur son trône seigneurial, drapé dans sa cape en peau de loup. Il était flanqué à sa gauche du redoutable vieux chamane et à sa droite d'un bouffon gobelin bossu. Quand l'elfe essaya de parler le bouffon le frappa avec une vessie gonflée. Quand il tenta de bouger, il s'aperçut que ses pieds étaient cloués sur une planche, pour le plus grand amusement des gobelins.
Dans une langue humaine approximative, Grom posait des questions et se vantait de sa conquête de Tor Yvresse. A travers ses lèvres tuméfiées, Moranion laissa échapper un rire. Il dit à Grom que ce n'était pas la cité mais tout juste un avant-poste. Pendant une seconde le silence se fit, puis Grom se mit à rire à son tour. Il était ravi, jusqu'à 'maintenant il trouvait que les elfes étaient trop chétifs pour se mesurer à lui!
Bientôt, la horde fut de nouveau en marche. Grom avait ordonné que l’on attache Moranion, nu, à l'avant de son char. Lorsqu'ils quittèrent le fort, Moranion pleura amèrement. La demeure de ses ancêtres était en feu. Alors même qu'il regardait, le toit s'effondra. Une bâtisse vieille de deux millénaires était réduite en cendres en une journée, par une tribu de barbares insensés, qui n'avaient aucune idée de ce qu'ils avaient détruit.
Toute cette longue journée, ils cheminèrent dans un pays vide et ravagé. Les éclaireurs de la horde, massacraient des hardes entières de cerfs, abattaient des arbres millénaires. Des champs d'herbes médicinales irremplaçables étaient piétinés par des semelles de fer. Les gobelins arrachaient les fleurs et les jetaient, riant comme des enfants cruels. Sur l'ordre de Dents Noires, les pierres gardiennes qu'ils rencontraient étaient renversées. A mesure que les ténèbres s'abattaient, le sol vibrait de petites secousses. Seul Moranion savait ce que cela voulait dire. Il savait que bientôt une marée d'une puissance magique terrible se lèverait, avec des conséquences tragiques pour Ulthuan et le monde. Il frissonna lorsqu'il entendit résonner le rire dément de Dents Noires. Dans l'obscurité, les yeux du chamane luisaient du pouvoir récemment acquis.
Sous le couvert de la nuit, les elfes survivants de l'escarmouche du gué rampèrent à l'intérieur du camp. Ils trouvèrent Moranion toujours attaché à l'avant du char où Grom dormait. Ils étaient si silencieux que même les loups ne se réveillèrent pas. Ils réussirent presque à libérer Moranion, mais Grom était vieux pour un gobelin et son sommeil était léger. Il sentit les vibrations lorsqu’on enleva Moranion et il se réveilla avec un rugissement. Deux elfes se ruèrent sur lui. Il attrapa sa hache et les abattit.
Les elfes soulevèrent leur chef et s'enfuirent à travers le camp en effervescence. Grom appela ses archers. Les elfes se séparèrent. Un groupe fut rapidement encerclé et se prépara à une résistance désespérée. Les autres fuirent en direction des bois. Ils furent abattus par une volée de flèches, à deux pas de la lisière. Moranion lui-même tomba, deux flèches fichées dans le dos. Il essaya de ramper, une troisième flèche l'atteignit et il mourut.
Au même moment, clans l'extrême nord d'Ulthuan, le fils de Moranion, Eltharion, était aux portes de la mort. Sa respiration était faible, son pouls lent et son front glacé. Alors, ses yeux s'ouvrirent. Il sentit une présence spectrale dans la pièce et vit son père devant lui. Le visage du vieil elfe était pâle et meurtri, ses yeux luisaient d'une lueur bleue glacée, des flèches grossières sortaient de sa poitrine. Le fils frissonna, sachant que son père était mort.
Le fantôme scintillant parla, lui disant qu'il était de son devoir de vivre pour le venger et stopper ce fléau. Pour sauver le pays, il devrait chercher et tuer celui qui porterait sa cape. Eltharion essaya de toucher son père mais le fantôme s'était évanoui avant qu'il ne puisse le saisir. Il baissa les yeux et vit Fangsword, l'épée de ses ancêtres, là où s'était tenu le spectre de son père. Il se pencha et attrapa l'épée, ses phalanges blanchirent à force de serrer la poignée.
Quand ses guerriers entrèrent dans la tente de soie, ils furent surpris de voir leur chef sur pieds. Eltharion ressemblait à la mort. Ses yeux étaient froids, ses joues creuses et il y avait dans sa voix un accent amer, qui ne s'y trouvait pas avant et qui ne devait plus jamais le quitter.
Il monta sur son griffon de guerre, Ailes d'Orage, et ordonna à ses guerriers d'embarquer. Il leur dit qu'ils retournaient chez eux. Personne n'osa le contredire. En l'air, hors de vue de ses troupes, il maudit les dieux. Le sifflement du vent dans ses oreilles fut la seule réponse.
A mesure que la colonne de Grom progressait, elle commençait à rencontrer plus de résistance. Des commandos de Tor Yvresse lançaient des raids éclairs sur les flancs de la colonne. La nuit, les gobelins voyaient d'étranges lumières dans les bois et au matin, lorsqu'ils se réveillaient, les sentinelles avaient disparu. Le sol lui-même vacillait parfois comme une bête fouettée sous leurs pas. Ils subissaient quelques pertes mais la présence tranquillisante et l'autorité de Grom les rassuraient.
Un changement se produisit chez Dents Noires. Il passait de plus en plus de temps à l'écart. Il avait arrêté de boire et de manger. La nuit ses rires déments résonnaient dans le camp et ceux qui les entendaient frissonnaient, aussi braves et cruels soient-ils. Ceux qui l'avaient vu de nuit, avaient remarqué qu'il était entouré d'un halo étrange et qu'il devenait maigre et lugubre. Ses yeux luisaient d'une lumière interne. Sa prononciation, qui n'était déjà pas claire dans ses meilleurs jours, était devenue incompréhensible. Même Grom s'inquiétait à propos de l'état mental de son vieux copain de beuverie. Dents Noires était comme au stade terminal d'une maladie dans laquelle il se séparait de plus en plus du monde réel.
A la lueur de la pleine lune, Dents Noires scrutait un bol de sang à la recherche de prédictions. Il y voyait la grande cité de Tor Yvresse, bâtie sur neuf collines, ses tours titanesques reliées par des ponts à plus de cent pieds de haut. Il vit l'armée rassemblée par les elfes pour aller leur rencontre et il sut qu'ils ne tarderaient pas à affronter un véritable adversaire. Il en informa Grom qui pouvait sentir les dommages qu'ils causaient au pays en volant sa magie, mais ne partageait pas les connaissances du chamane.


Le commandant de l'armée de Tor Yvresse était Ferghal Lance d’acier. C’était un bon guerrier mais pas un général. Il avait été nommé au commandement suprême, car sa famille était influente et bien introduite dans les milieux politiques tortueux de Tor Yvresse. Sa nomination reflétait bien le nom qu'il portait et l'honneur de ses ancêtres ; elle représentait aussi assez bien la faiblesse de la société elfe, leur passion pour les intrigues, leur division en factions dont les intérêts passaient avant ceux du royaume, leur inaptitude à prendre au sérieux des créatures mortelles aussi peu sophistiquées que les gobelins. Ils croyaient que la horde serait rapidement balayée par leurs armes et leur tactique supérieures.
Envoyer un chef comme Ferghal au-devant d'un ennemi aussi rusé et aussi implacable que Grom revenait à envoyer un enfant à un loup affamé. Les armées se rencontrèrent dans la plaine à dix lieues de la cité. Si les elfes avaient été moins confiants, ils seraient restés dans leurs tours forteresses à attendre du renfort.
L’armée gobeline balaya les elfes. Grom mena ses troupes à la charge. Sa hache décapita Ferghal. Les faux de ses roues, fauchèrent les elfes comme du blé mûr. A un contre un les elfes surclassaient les gars de Grom. mais ils étaient dépassés par le nombre et l'élan de la charge gobeline transperça les lignes elfes. Alors que la bataille faisait rage, les peaux vertes, contournèrent rapidement les flancs des elfes, qui se trouvèrent attaqués de toutes parts.
Les lances jaillissaient de partout. Les boucliers détournaient les coups de gourdins. Les cimeterres et les épées elfiques s'entrechoquaient. Les cris de guerres et d'agonie se mêlaient. Les loups hurlaient en se repaissant des morts. On entendait des battements d'ailes en provenance du ciel. Une odeur de sang et d'ozone emplissait l'air. Toute velléité de stratégie ou de tactique étaient abandonnées une fois au corps à corps. Les combattant luttaient poitrine contre poitrine, haletant à la recherche d'une ouverture. Cela devait être bref, car aucun guerrier ne pouvait tenir longtemps un combat d'une telle intensité.
Au milieu de cette folie, Argalen. fils de Moranion, affronta Grom. Le jeune elfe était fou de rage et de douleur. La vue de la cape de son père, toute tachée de sang avait rempli son cœur d'un désir de vengeance inextinguible. La rage meurtrière avait ôté de son esprit toute pensée de recours à la magie. Il se tailla un chemin parmi les gobelins et sauta à l'arrière du char de Grom. Grom détourna le premier coup de sa hache, l'épée s'enfonça dans le bronze du châssis. Alors le chef gobelin fit tomber une grêle de coups sur Argalen. Maniée par le bras de fer de Grom, la hache ne tarda pas à répandre le sang du jeune elfe. Argalen tomba.
Grom souleva le cadavre au-dessus de sa tête et, avec un rugissement, le lança au milieu des elfes. La chute du jeune homme démoralisa tellement les elfes qu'ils s'enfuirent. La bataille se transforma en déroute. Ayant abandonne leurs boucliers pour pouvoir fuir, les elfes se faisaient tailler en pièces. Moins de la moitié de la fière armée elfique réussit à quitter la plaine d'Yvresse en vie, les loups les talonnèrent jusqu'aux portes de la cité. Quand elles virent leur armée vaincue rentrer, les femmes elfes sur les murailles laissèrent échapper une grande plainte de deuil pour leurs frères et leurs pères.
On dit que cette plainte fut si forte qu'Eltharion l'entendit depuis la mer, à plusieurs lieues de la ville. Il est dit aussi qu'au moment où le cadavre sans vie de son frère toucha le sol, il laissa échapper un tel hurlement de douleur que tous ceux qui l'entendirent frissonnèrent et firent silence. Il n'y avait que tristesse sur les navires de la maison de Moranion alors qu'ils faisaient voile vers leurs demeures.
Dans Tor Yvresse, cette nuit-là, il y eut de nombreux deuils. La population apeurée se massait autour du temple de Ladrielle [Liadriel ?]. Des nuages noirs de tempêtes s'amoncelaient au-dessus de la cité, une pluie torrentielle menaçants. Une grande secousse fit trembler et s'écrouler les murs du côté de la mer. Les palais et les vieux monuments s'effondraient. Dans la plus haute tour de la cité, le gouverneur observait les étoiles et faisait des schémas, il consulta les runes et arriva à une conclusion qui l'emplit de terreur. Il savait que le réseau, qui empêchait Ulthuan de sombrer et maintenait le vortex en activité avait commencé à se défaire. Dans leur ignorance les envahisseurs avaient joué avec des forces qui pouvaient tous les détruire. S'ils n'étaient pas arrêtés, Yvresse, puis tous les royaumes elfiques sombreraient dans les flots et un raz de marée de magie noire submergerait le monde.
Quand il fit part de ses conclusions au conseil de la cité, il y eut beaucoup de débats. Certains voulaient prendre la mer avant l'arrivée du cataclysme. D'autres refusaient de quitter leurs demeures ancestrales et juraient que si leur pays devait périr, ils périraient avec lui. D'autres encore refusèrent de croire les conclusions du gouverneur et partirent faire leurs propres observations.
Pendant trois jours, il y eut un répit. Grom regroupait son armée et ordonnait la confection de machines de guerre. Les gobelins dépouillaient les cadavres et les brulaient sur de grands bûchers. Le vent transportait les cendres maudites jusqu'à Tor Yvresse et cela achevait de décourager un peu plus les défenseurs. Dents Noires sombrait de plus en plus dans la folie à mesure que le pouvoir affluait en lui, lui dévorant le cerveau et consumant son âme. Il restait assis devant le grand feu de camp alternant divagations et frissons. Ses prédictions menaçantes provoquaient un étrange malaise dans la horde.
Les gobelins n'aimaient ni les sombres forets hantées ni les secousses sismiques. Les éruptions des lointains volcans les rendaient nerveux. Ils sentaient confusément que quelque chose de terrible se préparait et ils se mirent à croire aveuglément en leur victoire finale, sans être sûrs cependant que cette victoire leur apporterait quelque chose. Dents Noires grommelait que la mer recouvrirait le pays et que les morts submergeraient les vivants. La gigantesque tempête qui se massait au-dessus de Tor Yvresse n'avait toujours pas éclaté.
Grom était le seul qui ne semblait pas inquiet. Il se promenait entre les tentes et allait voir les sentinelles, un quartier de bœuf dans une main et une bouteille de vin dans l'autre, sa grande hache attachée dans le dos. Il remontait le moral de ses troupes avec son air serein, mais, au plus profond de son cœur, il était perturbé. Il fit cadeau de la cape de Moranion à Dents Noires le chamane pour lui témoigner qu'il avait toujours confiance en ses prophéties, mais en fait Grom commençait à se poser des questions.
Une fois tous les préparatifs au point, il donna l'ordre de marche vers la lointaine cité. Des bandes de gobelins tiraient les machines nouvellement construites. Les chevaucheurs de loups partirent en éclaireurs pour ouvrir le chemin. La horde marchait au son de tambours monstrueux et le sol vibrait sous ses pas.
À Tor Yvresse, les défenseurs rassemblaient toutes les troupes disponibles. Il ne restait pas beaucoup de guerriers pour s'occuper des grandes balistes des murs d'enceinte, jamais la grande métropole n'avait semblé aussi vide bien que depuis quelques années. Tor Yvresse ait été à moitié désertée. Les bruits de pas résonnaient sinistrement le long des salles vides des palais dans lesquels la population avait rêvé et vécu. Le nombre des elfes avait diminué au cours de ces derniers millénaires et leurs cités, construites pour abriter des dizaines de milliers de personnes bien avant la grande séparation d'avec les elfes noirs, avaient toujours été calmes. Mais maintenant, c'était l'ombre de la mort, qui planait au-dessus de la cité, jetant une ombre plus noire que le ciel d'orage.
Quand les gens parlaient, c'était à voix basse et le silence oppressant avalait leurs mots. Les voix rugissantes des lointains volcans étaient les seuls bruits forts que l'on entendait dans la cité en deuil qui se préparait au siège. Les citoyens se massaient sur les murs, attendant l'arrivée de la horde et chaque jour qui passait sans attaque augmentait leur anxiété plus qu'elle ne la diminuait. Les rumeurs des découvertes du gouverneur, parcouraient la cité et accroissaient la peur ambiante. La fin semblait proche et les habitants de Tor Yvresse le sentaient.


Puis, quatre jours après la bataille des plaines, cela se produisit. Les citoyens se réveillèrent et trouvèrent les gobelins à leurs portes. Les crânes brûlés de leurs frères furent jetés par-dessus les murs par le grand bras du lance-roc gobelin. Cela ne cessa que lorsque Grom s'avança dans son char, s'arrêtant juste hors de portée de baliste. Dans un humain hésitant. il dit aux elfes qu'ils étaient condamnés à moins qu'ils ne se rendent immédiatement et ne le reconnaissent pour maître. Ceux qui comprenaient la langue des humains se raillèrent de lui en langue commune. Grom haussa les épaules et ordonna le siège.
D'immenses tours mobiles avançaient pendant que des rochers et des flèches pleuvaient sur les murs. Les défenseurs répondirent par un feu nourri, ils n'étaient cependant pas assez nombreux pour réduire leurs attaquants au silence. Quand les tours arrivèrent aux murs, les défenseurs jetèrent du plomb fondu et des flèches enflammées sur les assaillants, mais ils ne pouvaient pas arrêter l'assaut. Dents noires fit un geste et la tempête éclata. Une pluie torrentielle s'abattit, éteignant les feux. Des éclairs frappèrent les remparts comme des jets de flammes venus de l'enfer. Les défenseurs furent repoussés des remparts et les gobelins se répandirent comme une marée verte sur les murs et dans la cité.
Le combat était acharné, on se battait partout dans la cité, dans les palais et dans les rues. Les gobelins avaient l'avantage du nombre mais les défenseurs connaissaient chaque recoin et chaque passage secret de la cité. Les gobelins aux yeux jaunes poursuivaient les elfes dans les ténèbres et étaient à leur tour pourchassés. Les sangs se mélangeaient dans les rues détrempées. Les éclairs éclairaient les scènes de massacres, comme en plein jour. La folie s'était emparée de tous les combattants tandis que le tonnerre grondait et que les secousses ébranlaient les bâtiments. Les deux camps se battaient avec la même fureur désespérée, ne demandant ni ne faisant de quartier. Des deux côtés, les forces étaient engagées dans le dédale des rues et l’issue de la bataille restait incertaine, l'un ou l'autre camp prenant temporairement l'avantage ici ou là.
Aux environs de minuit, les choses semblaient compromises pour les elfes. Alors le gouverneur et Dents Noires se rencontrèrent. Le chamane chevauchait sa vouivre en direction de la tour des mages où était gardée la pierre gardienne de la cité. Les ailes de Serpent de Mort masquaient le toit de la tour. Le gouverneur sortit sur son balcon et affronta Dents Noires. De terribles énergies magiques furent libérées. Des sorts de mort fusaient et étaient dissipés par des contre sorts. Des gerbes d'éclairs rebondissaient sur des boucliers de lumière. Deux dieux mortels se livraient bataille au sommet de la cité. Lentement les combats cessèrent : les yeux jaunes des gobelins et les yeux bleus des elfes se levèrent pareillement vers la tour.
Le chamane fit un geste et des flammes enrobèrent la tour. Le gouverneur les éteignit d'un mot. Dents Noires parla et sa voix ressemblait au tonnerre. La tour elle-même vacilla et menaça de s'écrouler. Le gouverneur perdit l'équilibre et parvint à agripper la balustrade. Sa concentration momentanément brisée, il était une proie facile pour Dents Noires. Le sort du chamane l'écorcha vif et il ne resta qu'un squelette accroché, puis une pluie d'os tomba vers la rue. Dents Noires entra triomphalement dans la tour. Il avait atteint le centre du réseau de pouvoir qu'il avait commencé à démêler dès la première pierre. Maintenant, il se tenait devant la maîtresse pierre de tout l'est d'Ulthuan. Le pouvoir de répandre une complète et totale destruction était désormais à sa portée. Il put entendre les portes voler en éclat, quand les guerriers gobelins entrèrent dans la tour.
Soudain, de l'extérieur de la tempête, les elfes arrivèrent. La flotte d'Eltharion entrait dans les eaux tumultueuses du port. Dans une manœuvre d'une audace insensée, les navires franchirent la houle pour atteindre les eaux calmes de la rade. Des centaines de coriaces vétérans elfes prirent pied sur le rivage. Eltharion prit l'air sur le dos d'Ailes d'Orage, son griffon de guerre, à la recherche de l'assassin de son père. Le cri de défi du griffon retentit au-dessus de la cité. L'armée elfe débarqua, enfonçant les rangs des gobelins fatigués et trempés et se tailla une route vers la grande place de la ville. Les gobelins battaient en retraite.
À travers le vent et la pluie, Eltharion volait. Il sentit la présence de Dents Noires et se rendit compte avec horreur de ce qu'il s'apprêtait à faire. Il sentit l'immense flot de pouvoir affluer dans le chamane et comprit que, s'il ne le stoppait pas, ils étaient tous morts. Comme pour accentuer cela, le sol se mit à trembler. Des palais séculaires s'effondraient ensevelissant indifféremment elfes et gobelins.
Eltharion piqua vers un groupe d'élite de ses guerriers et, une fois qu'il leur eut expliqué ce qu'ils devaient faire, il reprit l'air vers une mort centaine. De sa main tendue, une décharge d'énergie pure, à la fois arme et défi, transperça les rangs gobelins masses près de la tour du gouverneur.
Dents Noires sentit le nouveau défi et sortit pour rencontrer Eltharion. Pendant ce temps, le gros des forces de Grom affrontait les soldats sur la place centrale et les troupes d'élite d'Eltharion se dirigeaient vers la tour du gouverneur. Dans le ciel de la cité, Eltharion et Dents Noires livraient bataille, tandis que sur la place, ce n'était que cris et démence, les elfes et les gobelins chargeant et contre-attaquant sans cesse. A la lueur des éclairs, la Vouivre et le griffon se battaient becs et griffes dehors, tandis que s'entrechoquaient la lame elfique et le bâton du chamane. Des éclairs d'énergie jaillissaient en crépitant.
Ivre de pouvoir et fou de douleur Dents Noires jetait sort sur sort, tous plus puissants les uns que les autres. Seule la volonté de fer d'Eltharion lui permettait de les repousser, seule sa détermination de venger la mort de son père lui permettait de supporter la douleur. Lentement les pouvoirs surhumains de Dents Noires faisaient fléchir l’elfe. Sur le visage du prince, la sueur se mêlait à la pluie. Ses traits autrefois agréables étaient figés en une grimace de douleur. Une autre décharge et c'en serait fini de lui.
Puis la situation changea. Les guerriers elfes avaient éliminé tous les gobelins de la tour et mis le plan désespéré d'Eltharion à exécution. Ils commencèrent l'invocation de clôture de la pierre gardienne maîtresse. Tous les pouvoirs passant par la pierre furent alors momentanément stoppés. Dents Noires s'arrêta au beau milieu d'un sort, étonné par le manque d'énergie magique. Sachant que c'était la seule chance qu'il aurait, Eltharion mit routes ses forces dans son coup. Sa lame enchantée fendit l'air plus vite que l'éclair. La tête de Dents Noires tomba de ses épaules et son corps vida les étriers.
Dans les rues, Grom combattait, sa hache se balançant irrésistiblement de droite et de gauche. Où il frappait un guerrier elfe s'écroulait. Autour de lui, ses gars se battaient bravement, réconfortés par les prouesses de leur chef et confiant dans la victoire. Lentement les elfes étaient repoussés de la place, quand soudain le corps sans tête de Dents Noires tomba comme une masse devant le char de Grom. Le chef gobelin s'immobilisa, abasourdi par la mort de son vieil ami. Voyant leur chef les bras ballants et leur invincible chamane mort, les gobelins s'arrêtèrent.
Encouragés par l'arrivée d'Ailes d'Orage et d'Eltharion à leur tête les elfes chargèrent la horde de gobelins avec une vigueur redoublée. Les gobelins mouraient en masse et les quelques survivants furent repoussés et s'enfuirent. Même les hurlements désespérés de Grom n'y firent rien. Acceptant la défaite, Grom haussa les épaules et suivit. Les elfes étaient trop fatigués pour les poursuivre.
Personne ne sait ce qui arriva ensuite. Eltharion entra dans la tour avec quatre des guerriers les plus braves de la bataille. On raconte qu’il y passa la nuit entière à lutter contre le pouvoir de la pierre gardienne, cherchant à stabiliser le vortex. Il sortit au matin, le visage plus sombre que jamais. On ne revit jamais aucun de ses compagnons. Un prix terrible avait été payé pour sauver Ulthuan.
Il sortit dans une aube radieuse, pour recevoir l'acclamation de la foule. Mais la lumière du jour nouveau ne procurait aucune joie à Eltharion. Ni l'admiration de la foule ni les vivats des guerriers ne pouvaient amener un sourire sur ses lèvres fines et pales. L'épreuve qu'il avait endurée devait le marquer à jamais. Depuis ce jour, il fut connu sous le nom d'Eltharion le Sinistre.
Personne ne sait ce qu'il advint de Grom. Certains disent qu'il mourut des blessures infligées par Eltharion lorsqu’ils s'affrontèrent dans le furieux maelström de la bataille de la place. D'autres disent qu'il est en vie et a réussi à atteindre les montagnes hantées. Des histoires courent, comme quoi il retourna vers le Vieux Monde monté sur Serpent de Mort. Personne ne le sait de façon certaine, on n'en entendit plus jamais parler. Eltharion fut nommé gouverneur de Tor Yvresse qu'il gouverne avec sagesse depuis de nombreuses années. Cependant, lors des nuits de tempêtes, on peut souvent le voir sur le balcon de la tour du gouverneur, lever un poing menaçant vers les cieux indifférents.