MARIENBURG

L’ÎLE DE RIJKER

Marienbourg à vau-l'eau, p131-133
Merci Rincevent

"Chaque fois que j’entre dans cette baie, la première chose que je vois, c’est cette prison, plantée là comme un gardien veillant sur les joyaux de son maître. Et je n’arrive toujours pas à décider si Rijker monte la garde contre les envahisseurs étrangers ou contre la lie de Marienburg."
- Cãpitan Pedro de Almodovar
 
"Rijker a vraiment une double personnalité. La cour extérieure ressemble à n’importe quel camp militaire, plein d’animation et de vie. Mais au-delà du Mur, le complexe est aussi désolé que les Terres du Chaos et presque aussi calme. Pas un bruit, sauf le craquement du gibet, quand on ouvre la trappe."
- un batelier de Marienburg
 
"Mais certainement, Frau Helga, nous veillerons sur votre invité aussi longtemps que vous le souhaiterez. Non, aucune explication n’est nécessaire. Je ne doute pas qu’un pilier de la communauté comme vous ait d’excellentes raisons. Une donation de 500 guilders ? C’est très généreux."
- Ludwig de Beq, gouverneur de Rijker

 

L’île de Rijker fut habitée dès l’arrivée des Jutones dans cette région, qui édifièrent au-dessus des ruines elfes un fort, un refuge en période de guerre. Plus tard, les Barons de Westerland se saisirent de l’île, qui porta alors le nom de Verrepunt, et bâtirent un château pourvu de vastes greniers qui devait leur permettre de résister si le reste de Marienburg venait à tomber. Quand la cité fut occupée par les Nordiques, puis par les Bretonniens, le sinistre château fut le dernier refuge des Barons – aucun assaut n’ayant pu l’emporter.

Au XVIIe siècle, l’Île de Rijker devint l’actuelle forteresse-prison quand les barons transférèrent leur lieu de résidence dans un palais beaucoup plus confortable au centre de la cité. La prison héberge depuis des criminels condamnés pour des crimes graves (incendie, viol, meurtre et contrebande). Les condamnés à mort y sont exécutés et la funeste cloche de la forteresse annonce chaque exécution en sonnant treize fois.

Avec l’extinction des van Hoogman et l’indépendance de Marienburg, l’Île de Rijker a commencé à jouer un rôle moins officiel et plus sinistre. Les Directeurs se méfiaient les uns des autres et plutôt que de confier le commandement de la forteresse à l’un des leurs, ils en attribuèrent la direction héréditaire à la famille d’un noble bretonnien en exil, le Vicomte Louis de Beq. De Beq et ses héritiers ont bien servis les Dix, emprisonnant discrètement ceux dont on souhaitait en haut lieu la "disparition" pour une raison ou une autre. Ayants droits gênants d’héritages fabuleux, victimes de querelles entre Maisons, amants ayant cocufié un mari influent et étrangers jugés trop dangereux pour retrouver leur patrie ont passé des années, voire toute leur vie, enfermés derrière les murs antiques de cette île-prison.

AGENCEMENT DES LIEUX

La prison occupe presque toute la surface de l’île et s’entoure d’une muraille dessinant un L, avec une forteresse dans l’angle intérieur du coude, face à la mer. Les murs de 15 mètres de haut et 9 mètres d’épaisseur possèdent des parapets aussi bien sur l’intérieur que l’extérieur. Les tours qui flanquent la muraille s’élèvent encore 6 mètres plus haut et portent toutes un canon pour repousser les vaisseaux qui voudraient envahir la rade de Marienburg.

Le Mur Van Zandt, une barrière intérieure de 12 mètres de haut et 5 d’épaisseur, divise la forteresse en deux cours, extérieure et intérieure. La cour extérieure, dans la moitié sud, abrite les quartiers de la garnison de l’île, un bataillon de 120 hommes composé de canonniers, de mercenaires et d’hommes d’armes. C’est aussi là que logent la plupart des geôliers et gardiens de la prison, même si certains pères de famille préfèrent faire chaque jour l’aller-retour vers Marienburg sur le bateau de ravitaillement.

Les visiteurs de Rijker découvrent une sorte de petit village bourdonnant d’activité derrière le mur d’enceinte. La moitié sud regroupe l’armurerie de la forteresse, les réserves de vivres, la forge et un atelier où des prisonniers de confiance fabriquent des paniers d’osier vendus à Marienburg. La chapelle est à la fois consacrée à Myrmidia, déesse favorite de la garnison principalement tiléenne, et à Véréna, divinité patronnesse de cet instrument de la justice qu’est Rijker.

La cour intérieure, nue et pavée de dalles grises, offre un contraste total. Inoccupée la plupart du temps, sa géométrie uniforme n’est brisée que par quelques éléments : la chapelle de Morr où les condamnés passent leur dernière nuit à prier, les trois grandes portes de fer noir qui percent l’intérieur du mur d’enceinte et mènent aux cellules, et la potence au centre de la cour.

Dans le creux du coude de l’île se dresse l’ancien donjon de la forteresse, simplement nommé le Château, ou de Kasteel. Le mur d’enceinte vient s’y appuyer, de même que le Mur Van Zandt. Ses parois sinistres et ses tourelles sont bâties dans une pierre très noire, extraite il y a bien longtemps des collines situées au-delà des Landes Amères – les marins l’appellent l’Oeil Noir de Marienburg. Cette ancienne demeure de Marius et de ses successeurs est maintenant la résidence des gouverneurs de la prison, l’excentrique famille de Beq. Et au sommet de la plus haute tour du Château, on peut voir le dôme et le télescope d’un observatoire incongru, la salle de jeu privée du gouverneur actuel de l’île de Rijker.

A l’extrémité opposée du Mur Van Zandt se dresse la Tour de l’Espoir, baptisée ainsi avec humour noir parce qu’elle offre une vue parfaite sur Marienburg et l’animation de sa rade. La tradition veut que les condamnés à mort ou à perpétuité soient conduits en haut de cette tour pour jouir une dernière fois d’une vision de la liberté et saisir tout le prix de leur crime. La tour défend aussi la porte principale entre les deux cours et le corps de garde au-dessus des arches munies de herses est maintenant la résidence du Gardien Général de la prison. Les prisonniers appellent l’ensemble la Porte de Morr.

Les ensembles de cellules se trouvent à l’intérieur du mur d’enceinte de la cour nord, répartis sur trois niveaux, deux au-dessus du sol et un souterrain. Du Donjon du Gouverneur à la Tour de l’Espoir, à l’extrémité opposée du Mur Van Zandt, le mur d’enceinte est divisé en trois parties par deux autres tours. Chaque ensemble de cellules est ainsi séparé des autres par les épaisses parois de granit des tours, ce qui limite les communications entre prisonniers à leur propre quartier et empêche les émeutes de s’étendre. Le sommet du mur d’enceinte, protégé de chaque côté par des parapets, court sans interruption sur tout le périmètre de Rijker et permet le déplacement rapide et sûr des troupes et des vivres.

Sous le rez-de-chaussée de chaque quartier pénitentiaire s’étendent les Cryptes, un étage de cellules utilisées pour l’isolation et la punition des prisonniers. Les condamnés à mort, les individus incarcérés pour les crimes les plus graves et les coupables d’infractions sérieuses au règlement intérieur y sont détenus. Les prisonniers des Cryptes n’ont droit à aucun contact humain. Leurs geôliers n’ont pas le droit de leur parler, voire de reconnaître leur présence. Ils reçoivent nourriture et eau par un guichet à la base de la porte de leur cellule et doivent eux-mêmes vider leurs seaux de déjection dans une minuscule bouche d’évacuation creusée dans le sol. Toute la lumière dont ils peuvent bénéficier provient de l’unique chandelle qu’ils reçoivent chaque semaine. Les prisonniers sont ici anonymes et uniquement désignés par leur numéro de quartier et de cellule.

Cet anonymat est la clé du rôle officieux de Rijker, car les Cryptes accueillent aussi les "disparus", ceux que le Gouverneur détient à la seule demande de quelque personne influente. Leurs noms ne figurent dans aucun registre : le Gouverneur et le Gouverneur Général se rappellent simplement où ils sont au cas où il faudrait un jour les libérer. Certains sont enterrés dans les Cryptes depuis si longtemps que seuls les geôliers qui leur apportent leurs repas se souviennent de leur existence.

La face extérieure du deuxième étage du quartier B, le mur le plus septentrional de Rijker, abrite une autre série de cellules réservées aux "disparus". Celles-ci sont cependant beaucoup plus confortables, presque élégantes dans leurs aménagements. Ce sont de véritables suites, avec salon, bains, garde-robe et même une vue sur la Manaanspoort Zee. Les prisonniers qui séjournent ici sont habituellement des gens de haut rang, qu’on a voulu mettre au secret sans pour autant les mêler à la lie des détenus ordinaires. Ils reçoivent la meilleure nourriture et tous leurs besoins sont satisfaits, si ce n’est leur soif de compagnie et de liberté. A cet égard, ils sont traités à l’égal des captifs des Cryptes.

QUI COMMANDE ?

Le gouverneur de l’Île de Rijker dirige théoriquement l’ensemble de la forteresse-prison avec tous ses mercenaires, geôliers et prisonniers. Les Directeurs de Marienburg n’étaient cependant pas stupides au point de laisser autant de pouvoir entre les mains d’un seul homme. Ils ont donc délibérément instauré une chaîne de commandement fragmentée et redondante, afin d’empêcher un ambitieux de prendre Marienburg et son trafic maritime en otage.

Dans les circonstances ordinaires, le gouverneur peut donner n’importe quel ordre et s’attendre à ce qu’il soit exécuté. Le Capitaine de la Garde peut toutefois annuler tous ceux qui, d’après lui, menacent la sécurité de la forteresse ou de Marienburg. Ce dernier fait son rapport chaque semaine au Staadtholder qui peut lui donner ses ordres au nom du Directorat.

Gouverneur n’est cependant pas un simple titre honorifique. L’octroi originel à la famille de Beq précise qu’elle "aura à sa disposition toutes les ressources nécessaires pour maintenir l’ordre et faire régner la justice dans l’enceinte de la prison". Les de Beq successifs ont tous considéré que ces termes leur conféraient aussi le commandement des mercenaires. Pour faire valoir cette interprétation, ils ne sont pas démunis, puisque leurs propres hommes contrôlent l’accès à la poudrière de la forteresse et la distribution de la solde mensuelle.

Cette confusion a suscité quelques violentes querelles dans le passé, avec des rafales d’ordres annulés aussitôt que donnés, mais ces accès sont restés relativement rares. Le gouverneur actuel, Ludwig de Beq, entretient de bonnes relations avec le Capitaine de la Garde, Jacopo d’Arezzo, et lui laisse une grande latitude dans la gestion quotidienne de la forteresse.

En ce qui concerne les prisonniers, les mercenaires ne sont que de lointaines silhouettes en haut des murs et leurs arbalètes pointent rarement vers la cour. Les prisonniers se soucient beaucoup plus des gardiens et geôliers, auxquels ils ont affaire tous les jours.

Le chef de ces derniers, numéro deux de la hiérarchie strictement pénitentiaire, est le Gardien Général du Mur Van Zandt. De son bureau dans le corps de garde de la Tour de l’Espoir, le Gardien Général supervise l’installation des nouveaux prisonniers dans les cellules, la distribution des repas et les éventuelles libérations. C’est aussi lui qui décide des punitions tant qu’il ne s’agit pas d’exécutions et les prisonniers espèrent bien ne jamais le rencontrer en d’autres occasions que leur incarcération et libération.

Le Gardien Général commande aux gardiens en charge de chaque quartier de cellules. Les bureaux de ces gardiens sont installés juste derrière les portes de fer de chaque quartier. Il n’existe pas d’autres accès connus et les gardiens peuvent donc contrôler toutes les entrées et sorties. A chaque étage, un geôlier détient les clés des cellules, distribue la nourriture, vient chercher les prisonniers qui sont convoqués et les surveille dans la cour pendant leur demi-heure de récréation hebdomadaire. Divers valets de prison assurent les tâches domestiques.

LA VIE DES PRISONNIERS

La vie d’un prisonnier sur l’Île de Rijker se décrit en deux mots : dure et terne. Normalement, ils sont deux par cellule de 1,50 x 2,10 mètres. Ils disposent de deux seaux, l’un rempli d’eau fraiche tous les jours, l’autre pour les déjections. Les geôliers leur apportent deux repas par jour : un bouillon léger le matin et un ragoût de poireaux le soir, auquel sont ajoutés des morceaux de poisson chaque Festag. Chaque cellule est percée d’une minuscule fenêtre donnant sur la cour ou sur la mer.

Certains événements viennent cependant rompre la monotonie. Grâce aux pressions du Culte de Shallya il y a une vingtaine d’années, les prisonniers ont maintenant droit chaque semaine à une promenade d’une demi-heure dans la cour nord. La plupart profitent de ce moment pour faire de l’exercice et discuter avec les autres détenus, quelques-uns se contentent de jouir du ciel et du soleil autrement qu’à travers des barreaux. Quand le temps ou les circonstances ne s’y prêtent pas (en cas d’émeutes par exemple), la promenade est supprimée et les détenus doivent attendre la semaine suivante.

Le Culte de Shallya s’intéresse beaucoup à la réhabilitation et a aussi obtenu que certains prisonniers exemplaires bénéficient d’un statut privilégié. La plupart travaillent alors dans les ateliers de la prison, fabriquant des paniers d’osier ou tissant de la toile qui sera vendue aux marchands de la cité. Ils sont payés 6 sous par semaine qu’ils peuvent utiliser pour acheter des suppléments de nourriture, de la bière légère ou économiser en attendant leur libération. Les "privilégiés" disposent aussi d’une heure de promenade supplémentaire par semaine.

Les punitions des trouble-fête représentent le revers de la médaille. Les infractions mineures, le refus de manger les repas ou le vol aux dépens d’un codétenu font perdre tout privilège pendant un mois au moins. Les crimes plus graves, tentative d’évasion, infractions mineures répétées, attaque d’un garde ou meurtre d’un autre prisonnier sont sanctionnés par un séjour dans les Cryptes pouvant durer un mois ou toute la vie. Le meurtre d’un geôlier de la prison conduit inévitablement à la potence.